Cet été, le film américano-britannique Barbie remporte un immense succès au box-office au Québec et ailleurs. Il est réalisé par la cinéaste féministe étatsunienne Greta Gerwing. Le tapis rose est déroulé pour ce film : les critiques sont dithyrambiques. Un bon scénario rempli d’humour, une qualité de jeu des acteurs et un décor rose bonbon expliqueraient son succès.

Le fabricant de jouets Mattel (qui se prête au jeu de l’autodérision) et Warner Bros., société de cinéma et de télévision, sont à la base de cette production cinématographique dont le budget se chiffre à 145 millions de dollars.

La « biographie » de Barbie, de son vrai nom Barbara Millicent Roberts, nous apprend qu’elle a vu le jour en 1959 aux États-Unis grâce à la femme d’affaires (et cofondatrice de Mattel) Ruth Marianna Handler (1916-2002). Elle la baptisera du nom de sa fille Barbara et son ami Ken de celui de son fils Kenneth. Barbie se scolarisera au Wisconsin et à New York. Elle aura trois sœurs et entreprendra une foule de carrières (médecin, pompière, astronaute, etc.).

Barbie est l’héroïne de romans sur sa vie professionnelle et son quotidien, elle est également vedette de séries d’animation. On la retrouve sur Netflix depuis 2018. L’éternelle jeune Barbie a une vie dynamique. Elle va à la plage et navigue, fait de la planche, vend de la limonade avec son camion de rue, possède une maison avec piscine, voyage en VR, dispose d’un parc de véhicules, d’une garde-robe bien fournie et détient une licence de pilote d’avion, etc. Barbie aime les animaux : elle en compte une quarantaine. Dans les années 1980, elle a été « vue » dans des lieux connus de la restauration rapide. Barbie est devenue foodie en 2008 avec une émission de cuisine. Devenir une fan finie de Barbie, s’est se laisser envahir par une montagne d’accessoires.

Comme produit de consommation, Barbie se retrouve dans 150 pays (selon le site de Mattel) et la milliardième poupée a été vendue en 1997. Disons que personne ne l’a encore initiée à la simplicité volontaire.

Sa forte popularité a nul doute suscité le développement de modèles culturels (idéal de beauté, apparence physique, surconsommation, etc.) auprès des jeunes filles. Avec une panoplie de jeux et de jouets, leur identité et leur image de soi se sont forgées, contribuant à la construction sociale de leur « monde de filles ».

PHOTO INA FASSBENDER, AGENCE FRANCE-PRESSE

Quelques-unes des 18 000 poupées Barbie de la collection de Bettina Dorfmann, à Dusseldorf, en Allemagne

Au cours des années 2010, l’univers de cette poupée plastifiée se déclinera sous de multiples modèles qui se veulent plus inclusifs. Elle fera place à des « sosies » différents de la blonde parfaitement tournée bien connue. En effet, Barbie la blanche deviendra membre de groupes ethniques et de communautés religieuses. Inspirée d’une escrimeuse olympique musulmane, elle portera le voile islamique. Elle prendra aussi des formes rondes, abandonnant sa taille de guêpe, elle se présentera également en « femme » à mobilité réduite et en malentendante. Le printemps dernier, une Barbie trisomique est apparue et une version trans, inspirée d’une actrice et militante, a été mise en vente en 2022. Évidemment, Barbie a sa page Facebook. Au total, il existe plus de 200 moutures (taille, apparence et condition physiques, appartenance culturelle différente, etc.) de cette poupée. Bientôt, une Barbie verte, écolo luttant contre les changements climatiques et la surconsommation ?

Le succès du film relève d’une campagne de marketing impressionnante. Toutes sortes d’objets (vêtements, chaussures, lunettes, valises, etc.) aux tons de rose, la couleur de l’univers de Barbie, accompagnent la diffusion du film. Même le site culinaire Mordu de Radio-Canada offre des recettes roses. Les salles de cinéma bien remplies se colorent : les cinéphiles autant masculins que féminins jouent le jeu en s’habillant de rose. Ce film devient rassembleur, attirant les familles et toutes les générations. Tout cela génère sans contredit un phénomène culturel. Éphémère ou pas, l’avenir nous le dira.

Derrière l’écran

Que peut-on voir derrière l’écran ? Autrement dit, quelle dynamique sociale est sous-jacente à cette « explosion de rose » cet été ? Comme la nature, le capitalisme n’aime pas le vide. Il cherche constamment à intégrer dans ses rouages les activités humaines. Son histoire rime avec marchandisation massive et englobante : tout doit se vendre et s’acheter. Rien ne doit rester en dehors de son développement, de sa logique. Tous les domaines de la vie passent dans sa moulinette, que ce soit la santé, l’éducation, la vie domestique, le sport, les loisirs, le tourisme, etc.

Le domaine culturel n’est pas en reste. Ne parle-t-on pas d’industries culturelles, cet ensemble de méthodes de production massive de biens (livres, musique, cinéma, médias, jeux, etc.) consommés en masse ? Ce qui mène par exemple à une grande concentration de la propriété des médias traditionnels et sociaux ainsi qu’à une planétisation de la musique, du cinéma. Que l’on soit à Montréal, à Rome ou à Bangkok, on visionne les mêmes films, on assiste aux mêmes spectacles. Ce faisant, nos identités nationales vacillent, l’anglais, langue internationalisée, aplatit nos distinctions cultuelles. Des millions d’individus se « parlent » par les mêmes canaux de communication de l’internet que gèrent d’immenses empires – les GAFAM – qui s’enrichissent avec nos activités en ligne et nos données personnelles.

De ce fait, la mondialisation, à l’américaine faut-il le souligner, de notre mode vie est indéniable. Les États-Unis, cet « empire invisible car omniprésent » dans nos existences (Mathieu Bélisle), ont encore de beaux jours.

C’est dans ce contexte qu’émerge l’actuel phénomène Barbie avec toutes ces activités de consommation. L’histoire du féminisme nous apprend comment la lutte pour renverser la conception inégalitaire des sexes a été au cœur de son développement. Que ce soit dans le monde du travail, par l’accès des femmes aux métiers traditionnellement réservés aux hommes ou dans le domaine de l’éducation familiale et scolaire par une socialisation moins différenciée et sexiste chez les enfants et les élèves, le mouvement social des femmes a lutté pour un monde nouveau. Ses victoires ont été impressionnantes, on le sait.

Or, que voit-on dans l’environnement du film Barbie ? Une panoplie de produits de consommation de toute nature contribuant à sa promotion et, par conséquent, à assurer de fructueuses retombées économiques pour les entreprises impliquées. Avec tout ce bourdonnement autour de ce film, on peut se questionner si on ne noie pas le message féministe.

Que restera-t-il de ce film : un discours féministe davantage présent, voire plus légitime et mieux intégré dans la société, ou un ensemble de bébelles, de gadgets et encore plus de poupées vendues ? Le capitalisme peut-il se définir comme féministe ? Après avoir vu le film, j’oserais dire que Mattel répondrait oui.

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