Le 1er août est le Jour de l’émancipation. C’est à cette date, en 1834, qu’est entré en vigueur le Slavery Abolition Act abolissant l’esclavage partout dans l’Empire britannique.

C’est une occasion de prendre acte de la force et de la résilience des personnes noires, mais aussi de reconnaître que le passé a des conséquences sur le présent et que si l’on ignore ses leçons, il a aussi des conséquences sur l’avenir.

Depuis quelques jours, un débat fait rage sur la manière de se servir de la commémoration au sein de la cité. Cette question refait surface alors que certains remettent en question la présence marquée de Christophe Colomb, dont le nom désigne une avenue de près de 8 km qui traverse la ville.

Pour certains, cette demande est injustifiable ou encore carrément loufoque. Derrière cette revendication se cachent non seulement des demandes de changements, mais également une question : qui a le droit de définir la cité ?

La présence de Christophe Colomb en « Amérique » a été construite de deux manières : la « découverte » ou encore la « conquête ». Selon Michel-Rolph Trouillot, dans Silencing the Past, « les noms instaurent un champ de pouvoir... L’Europe devient le centre de “ce qui s’est passé”. Tout ce qui a pu arriver à d’autres peuples dans ce processus est déjà réduit à un fait naturel : ils ont été découverts ».

En maintenant le nom de Christophe Colomb dans l’histoire, ne veut-on pas préserver cette lecture de l’histoire qui met l’Europe sur un piédestal ?

On doit s’interroger quant à l’importance accordée aux commémorations qui engendrent des « faits » historiques et des « mythes qui donnent à l’histoire ses formes les plus définitives » : elles créent « les événements historiques jugés dignes d’une célébration de masse »1.

Retour sur l’histoire

La rencontre de Christophe Colomb avec les peuples autochtones, tout au long de ses expéditions, s’est faite, avec comme toile de fond, la violence coloniale : l’esclavage, la conversion forcée au catholicisme. Pour rappel, ces expéditions étaient parrainées par Isabelle la catholique, le financement de ses expéditions était conditionnel à la conversion des indigènes.

En tant que gouverneur et vice-roi des Indes, Colomb a usé de son pouvoir à outrance en asservissant les populations autochtones du pays connu aujourd’hui sous le nom de la République dominicaine. Il a ordonné que les corps démembrés de ceux qui se sont révoltés soient traînés dans les rues, pratique qui est assimilable au lynchage, afin de tuer dans l’œuf toute révolte. Ultimement, la Couronne d’Espagne a eu vent de ses exactions : il fut déchu de ses titres.

Alors que ces pans sombres de l’histoire ont été dévoilés, aux États-Unis, des personnes se sont élevées contre les commémorations visant Christophe Colomb. Depuis 1991, plusieurs villes et États ont décidé de célébrer la Journée des peuples autochtones, jour férié qui souligne l’histoire et les contributions des Autochtones.

La voix des subalternes

Ceux qui remettent en question la rue dédiée à Christophe Colomb demandent que la voix de ceux que le colonialisme, l’impérialisme et l’esclavage et donc l’histoire, la philosophie et le droit ont relégués aux statuts de subalternes soit entendue. Ils demandent que la parole des subalternes cesse d’être ignorée et non perçue comme un bruit de fond, un bourdonnement de moustique afin que cesse le système d’exclusion.

Selon Trouillot, la plupart des Occidentaux « accèdent à l’histoire par le biais de célébrations, de visites de sites et de musées, de films, de fêtes nationales et de livres d’école primaire », et j’ajouterais par les statues et les noms des rues qui canonisent un aspect de l’histoire, protégeant ainsi le statu quo. Il souligne : « Au mieux, l’histoire est une histoire de pouvoir, une histoire de ceux qui ont gagné. »

La réflexion de La Nouvelle-Orléans

En 2017, le maire de La Nouvelle-Orléans, Mitch Landrieu, a pris la décision de retirer des espaces publics les statues des présumés héros de la guerre de Sécession. Reconnaissant le passé esclavagiste de la ville et de l’héritage de Jim Crow, dont les lynchages étaient une manifestation, Mitch Landrieu écrivait : « Alors quand les gens me disent que les monuments en question sont de l’histoire, eh bien ce que je viens de décrire est aussi de l’histoire réelle, et c’est la vérité brûlante ».

Le maire se demande « pourquoi n’y a-t-il pas de monuments de navires négriers, pas de repères proéminents sur les terres publiques pour se souvenir des lynchages ou des blocs d’esclaves ; rien à retenir de ce long chapitre de nos vies ; la douleur, le sacrifice, la honte... alors que tout cela se passe sur le sol de La Nouvelle-Orléans ».

Il constate que « pour ces défenseurs autoproclamés de l’histoire et des monuments, ils sont étrangement silencieux sur ce qui équivaut à cette malversation historique, un mensonge par omission ».

Pour évoluer, il faut faire les choses autrement. Nous ne pouvons plus attendre. Il ne s’agit pas seulement de déboulonner les statues ou de changer le nom des rues. Il faut métamorphoser nos comportements, modifier nos schémas d’analyse afin de nous attaquer aux mythes, changer notre lecture du monde et mettre en place une histoire inclusive.

En cette journée de l’émancipation, les propos du maire Landrieu ne peuvent que nous inspirer : « Il est donc temps de se rassembler, de guérir et de se concentrer sur notre tâche plus vaste. Non seulement en construisant de nouveaux symboles, mais en faisant de cette ville [de cette province et de ce pays] une belle manifestation de ce qui est possible et de ce que nous, en tant que peuple, pouvons devenir. »

1. Michel-Rolph Trouillot, Silencing the Past: Power and the Production of History(Boston: BeaconPress, 2015). 116

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