L’un des grands acquis de la francophonie a été sa marche longue, ardue, mais profitable vers la reconnaissance de ses institutions intergouvernementales sur la scène internationale. Son histoire est connue : d’abord la conférence de Niamey en 1970, consacrant la création de l’Agence de coopération culturelle et technique, donnant une première couleur politique à ce qui avait déjà été créé plus tôt, comme l’Agence universitaire de la Francophonie ou l’Association internationale des maires francophones, puis TV5 Québec Canada en 1988 et TV5 Monde en 2019.

Pour répondre aux exhortations des grands leaders africains francophones, Senghor, Bourguiba et Diori, la consécration politique survient en 1985 avec le premier Sommet des chefs d’État et de gouvernement de la Francophonie en 1986, à Paris, sous l’égide du président français François Mitterrand en pleine intelligence avec Brian Mulroney sur la place du Québec comme gouvernement participant à part entière.

Le sommet de Québec, un an plus tard, donna à Brian Mulroney l’occasion de promouvoir la démocratie face à un parterre de 50 % au moins de dictateurs, imposant une résolution générale d’engagement (que j’avais rédigée). Il fallut attendre 1997 pour que le poste de secrétaire général de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) soit finalement créé et doté par l’ancien secrétaire général de l’ONU Boutros Boutros-Ghali. L’OIF commençait à acquérir une véritable stature et eut le bonheur ensuite de bénéficier de la sagesse et du sens diplomatique sans pareils du président du Sénégal Abdou Diouf, qui fit trois mandats.

Puis, après son départ, commença l’irréversible chute de l’institution de l’OIF. Le premier ministre Paul Martin, qui avait placé la journaliste Michaëlle Jean au poste de gouverneur général du Canada, se sentait responsable, à la fin de son mandat, de lui trouver un poste. Et c’est ainsi que commença la campagne difficile de la première Haïtienne et Canadienne pour le poste de secrétaire générale de l’OIF, bien des leaders se demandant si elle serait en mesure de prendre la relève de Diouf, notamment face aux conflits en Afrique. La bonne volonté serait-elle suffisante ? À cela s’est ajoutée une série de bourdes provoquant une malveillance systématique.

La France décida qu’il était temps de reprendre la main, même si le président Emmanuel Macron, initialement, n’avait même pas créé de poste de ministre de la Francophonie. Devant l’intérêt limité du premier ministre Justin Trudeau pour l’international au-delà de la frontière américaine face à un Trump accablant, sans doute agacé par les rapports accusateurs des médias québécois sur Mme Jean, les dés ont été rapidement jetés. L’amitié de Trudeau pour Macron a fait le reste. Les intérêts de la France, puissance tutélaire en francophonie, exigeaient de reprendre le contrôle de la francophonie, dans le contexte de ses puissants intérêts économiques et politiques au Rwanda. Qu’importe que ce pays ait décidé de devenir au même moment membre du Commonwealth et d’établir l’anglais comme langue officielle au même titre que le français !

C’est ainsi que l’ancienne ministre des Affaires étrangères du Rwanda Louise Mushikiwabo, sous la pression de la France et avec le consentement du premier ministre canadien, remplaça Michaëlle Jean en 2019.

Selon de nombreux interlocuteurs canadiens consultés, Louise Mushikiwabo aurait emprunté de son pays d’origine des comportements dictatoriaux, ne souffrant aucune concurrence même dans le contexte institutionnel bien rodé de l’OIF, alors que le partage des tâches a toujours été bien défini entre secrétaire général et administrateur.

La tradition veut que le deuxième bailleur de fonds de l’OIF occupe le poste d’administrateur par rapport au rôle beaucoup plus politique de secrétaire général.

Mais il semble que la dame en question, craignant peut-être la concurrence de fortes compétences autour d’elle, susceptibles de remettre en cause ses prérogatives, s’est assurée de liquider rapidement les deux derniers candidats officiels du gouvernement canadien, Catherine Cano, peut-être trop brillante et donc menaçante, et Geoffroi Montpetit, au parcours idéal pour la francophonie en tant qu’ancien chef de cabinet de deux ministres canadiens responsables du développement et de la francophonie. Serait-ce que M. Montpetit en savait trop ou que ses compétences uniques allaient porter ombrage à la secrétaire générale ? Quand on voit la réarticulation à son profit que Mushikiwabo a effectuée dans la répartition des responsabilités de la haute direction de l’OIF, on a l’impression que Caroline St-Hilaire, succédant à M. Montpetit, pourra faire du shopping à gogo sur les Champs-Élysées, faute de véritables attributions...

Mais le résultat de tout cela est une incurie irréversible de l’institution dont la pertinence ne cesse de s’estomper, dont les sommets sont des répétitions de communiqués d’une année à l’autre, où la fibre démocratique ou plutôt son absence s’est révélée à Djerba, où certains membres ne veulent pas entendre parler des jeux au Congo, où la francophonie ne fait plus de vagues à l’ONU, où les grands succès d’antan ne font même plus la dernière page des nouvelles – déclaration de Bamako, engagements de Saint-Boniface/R2P. Mais, beaucoup plus grave, il n’y a plus d’Abdou Diouf, capable d’un coup de téléphone, de mettre fin à un conflit dans l’espace francophone.

Un dernier mot de tristesse : les deux renvoyés sans motifs valables n’ont pas été dédommagés pour leur évincement... Le Canada aurait pu faire plus et mieux pour eux !

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