Désolé de vous interpeller comme ça, par vos prénoms, comme si nous étions de vieux amis – alors même que je ne vous ai jamais rencontrés. C’est que ce n’est pas seulement Jules qui vous écrit, c’est aussi Papou.

Papou est le surnom dont j’ai hérité alors que mes parents n’étaient pas encore séparés ni divorcés. Alors que j’étais encore un enfant. Et les enfants préfèrent les prénoms aux noms de famille. Les noms de famille, c’est bon pour les affaires, ou pour la politique, rien qui n’intéresse les enfants.

Une autre chose que les enfants font, en plus de s’adresser aux gens par leur prénom, est de dire les choses comme elles sont, sans filtre. Ça non plus, ce n’est pas très bon, ni pour les affaires et encore moins pour la politique.

Ne voyez donc pas dans cette confidence quelconque avertissement ou jugement, mais, plus simplement, un témoignage. Un témoignage que vos enfants n’oseront peut-être jamais vous transmettre, vous avouer, ni maintenant ni plus tard. Comme pour beaucoup d’enfants, Papou a trouvé difficile la séparation de ses parents. Il a mis beaucoup, beaucoup de temps à comprendre comment cette décision pouvait s’avérer la meilleure pour lui. Et si elle n’était pas la meilleure pour lui, pourquoi ses parents avaient-ils pris la décision de faire passer leurs intérêts avant les siens ? C’est une question sans réponse.

C’est aussi une question aux mille réponses : il y en a tout autant qu’il y a de couples qui se séparent. Je reconnais d’emblée qu’il n’y a rien, à ce moment précis où mes parents m’ont fait entrer dans la cuisine, au petit matin alors que j’étais encore en pyjama, qu’ils auraient pu me dire pour me faire comprendre les motifs de leur séparation : ce sont des choses d’adultes qui ne sont pas à la portée des enfants. Pour Papou, papa et maman ne font qu’un, il les veut ensemble, en même temps, et tout le temps. Pourtant, voilà que j’apprenais qu’ils allaient se diviser et qu’on allait exiger la même chose de Papou : qu’il soit à moitié là cette semaine, et à moitié à tel autre endroit l’autre semaine.

Jules a 44 ans aujourd’hui. Papou, lui, a toujours quelque part entre 5 et 6 ans.

J’ignore si c’est parce que la séparation de mes parents est intervenue à un âge où je n’avais pas tout à fait la raison qu’il m’a fallu tant de temps pour comprendre.

Aujourd’hui, je suis moi-même marié, avec des enfants, et je sais que la vie et le temps peuvent éprouver durement les amours. Parfois, je crois même comprendre la séparation de mes parents. Et il y a ces autres moments, aussi, où je les regarde et me demande ce qu’ils avaient bien pu se trouver. Mais ça, ces moments de lucidité empruntée, calquée sur le raisonnement des adultes, c’est quand j’essaie encore de faire du sens des choses qui m’ont échappé.

Aussi longtemps qu’il y a un enfant en nous, la séparation de nos parents demeure quelque chose de difficile, d’indigeste. À la source de cette souffrance qui remonte parfois comme le pus à la surface d’une plaie mal guérie, il y a encore ce sentiment, au-delà de toute rationalité, que quelque chose demeure cassé, que rien ne pourra jamais le réparer, et que son contenu, précieux, irremplaçable, s’est écoulé à tout jamais. Que le doux bonheur de l’enfance nous a échappé.

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