Au début des années 1960, le Canada se cherchait une identité propre, considérant son lien persistant avec la couronne britannique et sa proximité avec la culture du géant américain. Mais surtout, c’était la place du Québec et du français dans le Canada qui constituait l’origine de cette crise identitaire canadienne.

Lester B. Pearson se fit élire à Ottawa en 1963 comme premier ministre d’un gouvernement minoritaire. Sensible au problème de l’identité canadienne, le gouvernement fédéral a créé, le 19 juillet 1963, la Commission sur le bilinguisme et le biculturalisme et nomme André Laurendeau et Davidson Dunton coprésidents. Les travaux de la commission s’étalèrent de 1963 à 1971. L’élément essentiel du mandat de la Commission se déclinait comme suit : « Faire enquête et rapport sur l’état présent du bilinguisme et du biculturalisme au Canada et recommander les mesures à prendre pour que la Confédération canadienne se développe d’après le principe de l’égalité entre les deux peuples qui l’ont fondée, compte tenu de l’apport des autres groupes ethniques à l’enrichissement culturel du Canada, ainsi que des mesures à prendre pour sauvegarder cet apport... »

Pour Laurendeau, le biculturalisme à la lumière du principe de l’égalité des peuples fondateurs impliquait, notamment, la recherche des conditions pour que chacune des deux grandes cultures au Canada puisse jouir d’une réelle égalité des chances de se développer et de s’épanouir, y compris dans les domaines de l’emploi et du travail1. Rappelons que le droit de travailler en français au Québec n’était pas acquis à l’époque et que les postes de direction étaient souvent fermés aux francophones.

Souvenons-nous de Donald Gordon, président du CN, affirmant publiquement que les Canadiens français n’avaient pas les compétences nécessaires pour pourvoir des postes de haute direction dans l’entreprise.

Pour gagner leur vie, bon nombre devaient laisser le français à la maison, y compris dans la fonction publique fédérale.

À la différence du biculturalisme, le multiculturalisme ne comporte, pour sa part, aucune reconnaissance de cultures dominantes ou particulières. Aucun groupe culturel ne doit être favorisé. Tous les groupes, y compris les francophones du Québec, sont sur un pied d’égalité. La loi vient aider les membres de diverses communautés ou divers groupes culturels à conserver et à affirmer leur identité et à surmonter les obstacles qui entravent leur pleine participation à la société canadienne2.

Avec la mort d’André Laurendeau en 1968, la Commission perdit, en quelque sorte, son âme. Aucune recommandation d’ordre constitutionnel n’a été formulée afin d’assurer l’égalité recherchée entre les deux peuples fondateurs. C’est plutôt la vision de Frank Scott, membre influent de la Commission, qui s’imposa : primauté des droits individuels sur les droits collectifs et rejet d’un statut particulier pour le Québec (égalité des provinces).

Pierre Eliott Trudeau, devenu premier ministre du Canada en 1968, rejeta les dimensions biculturelle et dualiste du Canada au profit du bilinguisme institutionnel, tout en séparant la langue de la culture.

Interprétant à sa manière le livre IV de la Commission portant sur l’apport culturel des autres groupes ethniques, il fit adopter en 1971 la Loi sur le multiculturalisme. Trudeau a fait sa fortune politique au Canada anglais avec l’idée de remettre le Québec à sa place...

Le rêve canadien d’André Laurendeau est devenu un mirage. Ce rêve canadien, fondé sur le principe de l’égalité des deux peuples fondateurs, est définitivement mort et enterré avec l’adoption de la Loi constitutionnelle de 1982 et l’échec de l’accord du lac Meech en 19903.

1. Rapport de la Commission sur le bilinguisme et le biculturalisme, Introduction générale, vol. 1, 8 octobre 1967

2. Valérie Lapointe-Gagnon, Panser le Canada : une histoire intellectuelle de la commission Laurendeau-Dunton, Boréal, 2018, p. 306

3. Guy Laforest, Trudeau et la fin d’un rêve canadien, Éditions du Septentrion, 1992

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