Les récents commentaires de Gad Saad, professeur à l’Université Concordia, sur le français québécois, le qualifiant « d’affront à la dignité humaine »1 et affirmant que « la signature auditive du français québécois est […] peu attrayante »2, sont de bons exemples de ce que les linguistes appellent parfois la glottophobie : les préjugés ou la discrimination fondés sur la langue ou le dialecte.

Bien que certaines langues et certains dialectes soient stéréotypés pour leur beauté, leur romantisme, leur caractère éduqué ou une myriade d’autres adjectifs, ces notions subjectives ont plus à voir avec nos perceptions des personnes qui parlent ces langues (le prestige social des groupes en question ou leur similarité relative avec nos propres langues) qu’avec les langues elles-mêmes. Nous associons inconsciemment nos préjugés et nos stéréotypes à l’égard d’autres groupes à leur façon de parler.

Une étude récente publiée dans les Proceedings of the National Academy of Sciences aux États-Unis présente une expérience utilisant des enregistrements provenant de 228 langues démontrant qu’il n’y a pas de langues jugées plus belles que d’autres, aussitôt que l’on contrôle tous les facteurs pouvant biaiser les résultats3.

Il n’y a donc pas de différence objective quant à la beauté des langues et de leurs dialectes, hormis les préjugés subjectifs que nous projetons sur eux.

Souvent, de tels préjugés sont liés à l’ethnicité. Par exemple, aux États-Unis, le dialecte afro-américain de l’anglais est critiqué dans les médias et dans certains établissements d’enseignement, bien qu’il partage de nombreuses caractéristiques avec d’autres dialectes de l’anglais qui parviennent à échapper à ces critiques.

Subtiles distinctions

L’une des premières choses qu’on apprend en linguistique est que toutes les langues naturelles sont capables d’exprimer la totalité des expériences de leurs utilisateurs. En fait, les variétés moins prestigieuses font souvent des distinctions subtiles qui disparaissent dans les variétés standards. Par exemple, en français québécois, la distinction dans la prononciation des voyelles entre des mots comme « brun » et « brin » est toujours maintenue, alors que celle-ci est disparue en français parisien. De même, l’anglais afro-américain fait une distinction grammaticale entre un aspect habituel (par exemple, chaque jour) et un aspect progressif (en ce moment), ce qui, là encore, est souvent ambigu en anglais standard.

Au-delà de notre appréciation ou non de certains accents, la discrimination linguistique teinte notre perception des individus.

Plusieurs études qui ont demandé à des participants d’évaluer des personnes parlant le français québécois ou européen selon des échelles d’intelligence, d’amabilité, de fiabilité, etc., ont révélé des attitudes négatives à l’égard des locuteurs du français québécois, à la fois chez les anglophones du Canada et même chez les francophones du Québec⁠4. Mais ce que les participants de ces études ne savaient pas, c’est qu’ils écoutaient les mêmes locuteurs dans les deux contextes. Ces derniers étaient en fait des acteurs qui passaient d’un dialecte à l’autre. Il est fascinant, bien que préoccupant, de constater que les humains projettent des stéréotypes négatifs sur les autres en se basant uniquement sur leur façon de parler.

Les débats linguistiques sont omniprésents dans le discours médiatique et politique au Québec. Pourtant, trop peu de gens comprennent les principes de base du fonctionnement du langage humain, c’est-à-dire les propriétés, la variation et les changements historiques des langues du monde, ainsi que les liens entre le langage et les sociétés. La linguistique, l’étude scientifique du langage humain, a beaucoup à nous apprendre, si nous sommes prêts à écouter, au-delà des idées reçues.

1. Lisez « Pousse, mais pousse égal » 2. Regardez « The Quebec Cancel Culture Has Come for Me » (en anglais) 3. Lisez « Do some languages sound more beautiful than others ? » (en anglais) 4. Lisez « Change and Stability in Intergroup Perceptions » (en anglais) Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion