L’auteure, étudiante en droit, s’adresse au directeur de l’École du Barreau du Québec, MGuy-François Lamy

Maître Lamy, vous ne me connaissez pas, mais je fais partie des étudiants et des étudiantes qui subissent depuis hier (et demain) les examens de droit appliqué de l’École du Barreau, ceux-là mêmes qui ont été durement critiqués dans un article paru dans La Presse le 19 juillet dernier.⁠1

J’aimerais vous dire à quel point j’ai passé un été misérable, enfermée à l’intérieur, entièrement laissée à moi-même, à étudier à temps plein pour près de 10 heures d’examen que je ne suis pas sûre de réussir. J’ai pourtant réussi mon baccalauréat en droit à l’Université de Montréal. La plupart du temps, j’ai eu des notes supérieures à la moyenne de mon groupe. Autrement dit, à l’université, j’ai bien réussi. Cela est réglé.

Qui plus est, je suis une étudiante en droit atypique : j’ai un doctorat en communication obtenu avec la mention « excellent », j’ai publié des livres et j’enseigne à l’UQAM et à l’Université de Sherbrooke comme chargée de cours. Autrement dit, je sais réfléchir, je sais analyser et je sais argumenter.

Pourquoi alors est-ce que je n’arrive pas avec confiance aux examens du Barreau ? Parce que les taux de succès de votre nouveau programme, dont nous sommes les cobayes, sont faméliques. Les histoires qu’on entend sur le déroulement de ces examens, auxquelles vous nous avez laconiquement indiqué de ne pas nous fier dans une communication au début de l’été, n’ont rien pour nous rassurer.

Dans l’article de La Presse, on vous cite : « Le directeur de l’École du Barreau, MLamy, reconnaît qu’échouer au premier essai n’est pas “agréable”, mais affirme que “ne pas réussir du premier coup n’est pas un échec”. » En plus de manquer franchement d’empathie, cette affirmation manque de cohérence : ne pas réussir EST un échec. Après une formation universitaire complète dans le domaine et un été de préparation, une étudiante en droit DEVRAIT réussir un examen de droit appliqué du premier coup. À moins qu’il n’y ait un problème avec l’examen ?

Or, vous affirmez aussi sans gêne : « Les connaissances juridiques sont acquises à l’université. Ce n’est pas notre mandat et ça ne l’a jamais été de donner des cours de droit. »

Fort bien. Mais pourquoi diable nous faites-vous alors subir un examen ? Quelle est la légitimité de cette évaluation ? Si ce n’est qu’elle relève d’une vieille tradition, un genre de « c’est de même parce que c’est de même pis c’est ben correct », bien difficile à justifier pour une institution qui a le titre d’école, mais qui n’aurait pas besoin de donner de cours…

J’ai consacré les deux derniers mois à la révision de 11 domaines de droit pour me préparer à répondre en deux jours à 100 questions à choix multiple sur des sujets aussi variés que le calcul d’une pension alimentaire, le partage d’une société d’acquêts, le rachat d’actions par une société, le calcul de dividendes (sans oublier les arrérages !) de ladite société, les recours d’un salarié en cas de harcèlement psychologique, la réclamation de paternité, le calcul de la majoration de la paie d’une employée compte tenu d’un jour férié et de ses heures supplémentaires, les périodes autorisées de maraudage syndical, les règles de preuve, et j’en passe. J’en ai rêvé la nuit.

Les trois codes et les deux recueils de lois que j’ai le droit d’apporter à l’examen pèsent, ensemble, 16 kg. Les réponses aux questions de l’examen peuvent se trouver n’importe où dans ces milliers de pages de papier bible, et même ailleurs, puisqu’il nous faut aussi tenir compte de la jurisprudence, apprise par cœur celle-là, parce qu’on n’y a pas accès à l’examen.

J’ai la prétention de bien m’y retrouver, malgré tout. Mais je ne vous fais pas confiance. En fait, je ne fais pas confiance à l’École du Barreau pour nous évaluer. Les questions d’examen de l’École du Barreau ne visent pas à évaluer notre compétence à appliquer les règles de droit, elles visent à nous piéger. D’ailleurs, je serais fort curieuse de savoir combien de pédagogues, c’est-à-dire de spécialistes de l’éducation, participent à la conception de ces examens. On ne s’improvise pas docimologue. Pas avec un seul diplôme de premier cycle en droit.

Cela est sans compter sur la Clinique juridique obligatoire dont se vante le Barreau. Sans rien résoudre du problème fondamental de l’accès à la justice (soit les honoraires des « vrais » avocats et avocates), cette nouvelle clinique repose sur une main-d’œuvre captive et gratuite. Mieux encore : les étudiants du Barreau paient pour être inscrits au programme qui permet au Barreau d’offrir gratuitement des services juridiques ! Voilà ce qu’on appelle une bonne affaire.

Combien d’avocates et d’avocats, actuellement membres du Barreau, réussiraient les examens de cette semaine ? Permettez-moi de soupçonner que ce ne serait pas la majorité.

Pour accéder à leur ordre professionnel, après leurs études, les ingénieurs subissent un examen de déontologie. C’est hautement justifié. Mais pour leur donner accès à la profession pour laquelle ils sont formés, on ne les évalue pas à nouveau sur l’ensemble de ce qu’ils ont appris dans leur bac. En leur filant en prime une facture de 7000 $.

Lisez l’article « École du Barreau : une formation suscite la grogne » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion