Gala ou pas gala ? Là est la question que se sont récemment posée les têtes dirigeantes des festivals d’humour ComediHa ! et Juste pour rire. Pour le clan ComediHa !, le choix est sans équivoque : la voie des galas est celle à préconiser. Toutefois, ces galas ne seront pas des galas « ordinaires » puisqu’ils seront captés pour ensuite être télédiffusés.

C’est d’ailleurs ce qu’annonçait le PDG de ComediHa ! en début de semaine dernière à La Presse1, enorgueilli de la récente signature d’un contrat de télédiffusion jusqu’en 2026 avec ICI Télé pour la diffusion télévisuelle desdits galas ComediHa !, au grand détriment, selon moi, du public « en présentiel ».

Voyez-vous, le 9 août dernier, j’ai eu la chance – malheureusement gâchée – d’assister au gala ComediHa ! animé par Laurent Paquin à la salle Louis-Fréchette du Grand Théâtre de Québec. Je dis gâchée, mais j’aurais pu aussi dire sabotée. C’est que ce gala – et ceux à venir jusqu’en 2026 – faisait l’objet d’une captation télé. Permettez-moi de vous brosser le portrait.

En ouverture, nous avons été accueillis par un animateur de foule qui nous a expliqué comment allait se dérouler cette soirée « spéciale » en raison de la présence de caméras.

La fébrilité du public face à l’idée de faire une apparition télé sur une chaîne connue était palpable et la bienvenue.

Outre les règles de bienséance habituelles classiques – qui se résument à éteindre son téléphone et à écouter en silence –, on demanda (lire ici « exigea ») du public qu’il obéisse à une panoplie de règlements : ne pas fixer la caméra même si elle s’affaire à capter le moindre détail de votre réaction à moins d’un mètre de votre visage ; ne pas faire de coucous à la caméra ; ne pas hésiter à exagérer ses réactions pour les caméras ; s’abstenir de se lever pour faire ses besoins (oui, oui, vous avez bien lu) ; changer de place et se rapprocher du reste de la foule (tel un troupeau) pour éviter qu’apparaissent à l’écran des places vides, ce qui pourrait laisser paraître quelque semblant de réalité (blasphème) à savoir que la salle n’était pas complètement remplie.

Petite suggestion pour éviter que les salles aient une apparence désertique : traiter son public avec respect et tenter de lui faire vivre une expérience humoristique de qualité au lieu de l’exploiter dans un rôle de figuration non payé. Après ces innombrables « règles », vint le temps pour l’assistance d’accentuer la mascarade en rafraîchissant la bibliothèque audio de la production avec une panoplie de faux rires exaltés et d’applaudissements forcés, arrachés contre gré par l’insatiable animateur de foule.

Le malaise

N’ayant pas peur de l’absurde et n’en ayant visiblement toujours pas eu pour son argent (je rappelle ici que c’est le public qui a payé pour être là), l’animateur de foule nous invita – encore une fois lire ici « obligea » – à nous lever pour simuler la plus belle et la plus soutenue des ovations debout. Vous savez, cet acte qui autrefois se voulait une démonstration du respect et de l’appréciation du public envers la prestation particulièrement bravissima d’un artiste. Sentant la tension et l’impatience du public monter, l’animateur de foule nous « libéra » de notre pénitence après 13 belles minutes d’exploitation tout en nous laissant miroiter que ce n’était que partie remise. Le programme principal débuta, mais une certaine gêne apparut dans l’air. Un inconfort languit et un malaise s’installa. La prédisposition à un spectacle humoristique était à son plus bas, au grand dam de tous.

Néanmoins, Laurent Paquin émergea finalement sur scène tel un Messi et mena l’animation avec brio. Les numéros s’enchaînèrent, les gens riaient (pour vrai cette fois) et la soirée avançait de bon train. Mais voilà que la hantise de l’entracte approchait, moment tendre puisque l’animateur de foule avait fait promesse de réapparaître juste avant. Tel que promis, l’animateur de foule revint pour un second round en énonçant qu’étant donné que nous étions un public généreux et nombreux, il profiterait de notre présence – et surtout de notre docilité – pour capter d’autres images, cette fois en prévision du gala de dimanche animé par Michel Courtemanche, gala pour lequel l’animateur de foule s’attend à une salle parsemée de sièges vides (chic commentaire à l’endroit de Michel Courtemanche et de son public). Comme s’il n’était pas suffisant d’être usé pour son propre gala, le public devait maintenant se farcir la figuration des autres galas.

Ainsi, l’animateur de foule regagna le plancher pour finaliser sa manipulation, en nous demandant (le plus sérieusement du monde) de fixer attentivement la scène comme le bon public attentif que nous étions pendant que les caméras s’affairaient à capter ces images glorieuses. Or, ce lamentable exercice dura 10 longues minutes. Dix minutes à fixer une scène vide dans le silence, quelle expérience pour le public !

Bref, cette bouffonnerie fit totalement abstraction du respect dû à un public venu assister à une représentation artistique.

Alors que les services de streaming font pression quotidiennement sur la foule pour rester à la maison et consommer son divertissement, certains font encore l’effort d’acheter un billet, de se déplacer et d’être présents pour vivre une performance artistique (et non pas y survivre), faisant en sorte de soutenir les arts de la scène. Il est d’ailleurs assez ironique de penser qu’on manipule le public présent pour vanter ou faire valoir un produit qui sera offert en streaming à la maison.

Ultimement pour le public, c’est sa présence qu’il feint. Par cet exercice ridicule, le public abdique une partie de son propre plaisir au profit de la télé et du groupe ComediHa !, qui en bénéficie sans rien donner en retour. Certes, certains d’entre vous me diront que j’exagère la situation. Bien évidemment, la foule a eu le droit d’assister au spectacle dûment payé et a passé, somme toute, un bon moment. Néanmoins, ce fut au coût de devoir jouer les pantins pendant 25 minutes et, pour ma part, de devoir partir avant la fin (je n’étais pas le seul), ne pouvant supporter cet artifice plus longtemps.

Serait-ce cette manipulation mercantile qui m’a le plus agacé ou le fait que l’humour – que je considère comme une vraie expression artistique – soit ici rabaissé au rang de simple commodité dont il faut absolument mousser faussement les réactions pour atteindre le but ultime : faire vendre ?

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