Rappelons encore une fois que le secteur gouvernemental doit rester au cœur du système de santé comme concepteur du panier public de soins, comme agent payeur principal, comme régulateur d’une saine concurrence entre les fournisseurs privés de soins et d’assurance-santé et comme promoteur du libre choix des citoyens entre divers fournisseurs. C’est possible.

Pour se convaincre de l’intérêt d’ouvrir notre système de santé aux organisations et entreprises du secteur privé entendu au sens large, considérons le cas de la France. Loin d’être à l’abri de toute critique, le système français obtient tout de même de meilleurs résultats que le nôtre sur plusieurs plans⁠1.

Or, la France fait une grande place aux prestataires privés, à but lucratif ou non. Selon les données les plus récentes de l’OCDE, les hôpitaux privés à but lucratif représentent 33 % des établissements hospitaliers et 24 % des lits en France, et sont proportionnellement plus importants qu’aux États-Unis, où ils représentent 26 % des établissements et 18 % des lits (les hôpitaux privés à but non lucratif représentent 22 % des établissements et 14 % des lits en France, comparativement à 51 % et 61 % aux États-Unis).

Les chiffres correspondants pour les hôpitaux privés à but lucratif sont, pour l’Australie, 39 % des établissements et 19 % des lits, pour l’Allemagne, 43 % et 30 %, pour l’Autriche, 31 % et 15 %, pour le Canada, 1 % et 0,6 %, et pour le Royaume-Uni, 0 % et 0 %.

En France, l’Assurance maladie couvre les dépenses admissibles engagées par un citoyen. Tout citoyen peut choisir d’être soigné dans un hôpital public ou privé, à but lucratif ou non. C’est un indicateur important de respect des citoyens.

Considérant les soins prodigués dans l’ensemble des hôpitaux autres que les hôpitaux universitaires, c’est 55 % de l’ensemble des ménages (et 46 % des ménages plus démunis, soit ceux du quintile le plus bas) qui ont choisi en 2019 d’être soignés dans des hôpitaux privés, dont 85 % à but lucratif. Les établissements privés à but lucratif ont effectué 60 % de l’ensemble des opérations chirurgicales, 50 % des opérations de l’appareil digestif, 40 % des opérations cardiaques et 30 % des accouchements, entre autres.

Le secteur privé à but lucratif est intégré aux régimes publics d’assurance maladie dans plusieurs pays développés d’obédience sociale-démocrate. Sauf au Canada et au Royaume-Uni, deux pays où le stress santé est maximal. Dans un système respectueux des patients et axé sur une recherche continuelle de performance (optimisation des bénéfices et contrôle des coûts), une brochette importante d’établissements privés, à but lucratif ou non, est susceptible d’assurer un niveau de concurrence souhaitable.

Ce n’est pas une affaire de compétence chez les personnels soignants et administratifs, mais une affaire d’organisation efficace que seule la concurrence peut faire émerger.

Au Québec, tous les plans de réforme du secteur de la santé des 20 dernières années ont échoué à remplir leurs promesses. La cause profonde de ces échecs pourrait résider dans le phénomène de la tragédie des biens communs. Bien connu des économistes et autres scientifiques de l’organisation sociale, ce phénomène veut que les ressources communes aient souvent tendance, sous une règle de libre accès, à être surexploitées.

C’est peut-être aujourd’hui le cas des ressources en santé. Les progrès importants de la médecine qui permettent de traiter de plus en plus de pathologies, combinés au vieillissement des populations, favorisent, en l’absence d’une gestion adéquate de l’accès, une surutilisation inévitable des ressources médicales du régime public. Augmenter simplement la quantité de ressources ne peut qu’engendrer une expansion de la demande de soins, menant inexorablement à engendrer une surconsommation et un engorgement du système.

La seule solution durable à cet engorgement est la tarification incitative (ticket modérateur et coassurance) des services publics de soins favorisant, chez les citoyens, un contrôle rationnel sur leur utilisation de ces services. Différentes mesures peuvent accompagner les populations plus démunies face aux impacts de cette tarification.

Le système français est justement un système avec ticket modérateur et coassurance, les citoyens devant assumer une partie de leurs frais de soins de santé couverts par le régime public, sujet à des maximums annuels. Ces frais assumés par les patients sont parfois couverts par des assurances privées complémentaires, souvent à la charge en partie des employeurs. Une couverture « complémentaire santé solidaire » (CSS) permet aux personnes et aux ménages aux ressources modestes de bénéficier de la couverture complète des soins du panier public à coût nul ou faible.

Tous les pays qui laissent une place importante aux prestataires privés au sein de leurs régimes publics de santé sont susceptibles de profiter de meilleurs soins à meilleurs coûts. Les principales raisons derrière ces bénéfices sont la mise en concurrence des fournisseurs de soins, la responsabilisation des usagers et la place des citoyens, patients et contribuables, au cœur des régimes.

1. Selon le rapport 2021 du Commonwealth Fund, la France surpasse le Canada pour quatre des cinq critères de performance : l’accès aux soins, l’efficience administrative, l’équité, les résultats des soins. Le Canada surpasse la France au critère du processus de soins : précaution, sécurité, engagement envers les patients. Notons que les États-Unis dominent le groupe de pays européens (France, Allemagne, Pays-Bas, Norvège, Suède, Suisse, Royaume-Uni) pour ce dernier critère, tout en tirant de l’arrière pour les quatre autres critères.

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