Un quart de millénaire s'est écoulé depuis la bataille des Plaines. Le Québec serait depuis un pays conquis. Une France en miniature qui, à la suite du désastre de mai 1940, attend toujours le juin 1944 qui la libérera du joug étranger. Le psychodrame sur la venue d'un «Anglais sur les Plaines», l'été dernier, a donné la mesure de l'instrumentalisation de ce mythe fondateur. La reconstitution de la bataille, prévue dans le cadre des célébrations, provoque déjà le malaise. Et si cet événement n'avait tout simplement pas la signification qu'on lui prête de part et d'autre?

La bataille de Québec ne scelle pas l'issue de la guerre

Le 13 septembre 1759, Montcalm perd la bataille de Québec. Y a-t-il pour autant conquête? Il faut se garder de confondre a posteriori la succession des événements et leur causalité. Le lien entre la victoire de Wolfe et la passation de la Nouvelle-France sous régime anglais, le 8 septembre 1760 (confirmée lors de la signature du Traité de Paris en février 1763), semble évident. Mais encore?

La bataille des Plaines est un épisode décisif du théâtre nord-américain de la Guerre de Sept ans (1756-1763), qui oppose notamment la France à l'Angleterre. Or, la bataille de Québec ne scelle pas l'issue de la guerre, qui embrase l'Europe et fait rage jusqu'aux Indes. Si tel avait été le cas, elle aurait pris fin à Québec. Cette guerre mondiale ne se joue pas en Amérique mais bien en Europe, tout comme la Seconde Guerre mondiale ne se joue pas en Afrique du Nord, malgré l'importance de ce théâtre.

Envisageons le statut de la Nouvelle-France, dès lors, sous l'angle de quatre scénarios dictés par la logique: la France gagne la bataille de Québec et gagne la Guerre de Sept ans; la France perd à Québec, mais gagne la guerre; la France gagne à Québec, mais perd la guerre; la France perd à Québec et perd la guerre.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, aucun de ces scénarios ne garantit à la Nouvelle-France de rester française. Dans le pire des scénarios - le quatrième, qui s'est avéré - la vallée du Saint-Laurent aurait pu ne pas passer aux mains des Anglais. Paradoxal? Non, puisque ce scénario s'applique aux Caraïbes. Ce cas démontre que ni le résultat d'une bataille ni même l'issue du conflit dans son ensemble, n'ont suffi à dicter le sort d'une colonie française en Amérique.

La Guadeloupe est aussi «conquise» par les Anglais... en 1759. Plus tard tombera la Martinique. Ces îles seront, comme la Nouvelle-France, placées sous un régime d'occupation anglais provisoire jusqu'à la signature du Traité de Paris. Elles sont pourtant toujours françaises.

La France doit faire des choix

Même perdante en 1763, la France conserve assez de marge de manoeuvre diplomatique pour reprendre des Anglais certaines de ses possessions du Sud. La défaite (de la guerre dans son ensemble) oblige la France non pas à tout céder, mais à faire des choix. Elle choisit d'abandonner temporairement la Nouvelle-France; on oublie commodément qu'elle reconquérait une large portion de cet immense territoire aux côtés des Américains 20 ans plus tard.

Le choix de sacrifier la Nouvelle-France au profit des Caraïbes est la faute de Louis XV que Charles de Gaulle, pénétré d'histoire, a voulu racheter en 1967.

Même en formulant l'hypothèse complaisante à l'effet que la France perdante de la Guerre de Sept ans n'a «pas le choix» de céder la Nouvelle-France sous occupation provisoire, il n'en reste pas moins que l'issue des batailles en Amérique n'y aurait rien fait. Montcalm aurait gagné à Québec que la Nouvelle-France aurait été cédée quand même.

Pour garder le Canada, au final, il faut que la France gagne la Guerre de Sept ans. Mais encore, pas forcément! La France perdante ne cède pas tout. Une Angleterre perdante aurait pu, elle aussi, négocier une sortie honorable... En obtenant, par exemple, en retour de quelque concession coloniale, un prix de consolation auquel elle tenait manifestement plus que la France... comme la vallée du Saint-Laurent.

Les Québécois savent trop bien que la France a abandonné ses «arpents de neige».

Ces discours victimaires, geignards, aux lourdes résonances balkaniques, affaiblissent le mouvement indépendantiste davantage qu'ils ne le renforcent. Personne ne veut s'associer à des «conquis»... Qui, en plus, n'en sont même pas!à

Titulaire d'une maîtrise en sciences politiques, l'auteur est un ancien attaché politique du Parti québécois.