Des articles récents parus dans La Presse et plusieurs médias soulignaient, en s'en désolant, l'augmentation de 78% des cas d'autisme aux États-Unis entre 2002 et 2008. À titre de personne autiste moi-même, permettez-moi de présenter mon point de vue, moi qui suis «frappé» par cette «maladie» dont je «souffre».

Si une certaine dimension handicapante fait consensus, il n'en va pas de même avec l'idée selon laquelle l'autisme serait une maladie. Les différentes visions de la nature réelle de l'autisme se déclinent depuis celle qui en fait une psychose jusqu'à celle qui la considère comme une autre forme d'intelligence.

Selon moi, être autiste est un peu comme être gaucher plutôt que droitier, ou homosexuel plutôt qu'hétéro: c'est quelque chose de minoritaire qui est là dès la naissance et qui appartient à la personne. Je n'ai pas été frappé par l'autisme: je suis autiste, c'est une dimension de ma personne (et qui, soit dit en passant, ne limite pas ma personne).

Comment croyez-vous que nous nous sentons d'être ainsi? Pour ma part, assez bien. Certaines journées, je me sens très bien et très heureux. Je ne suis ni un malade ni une maladie. Je relis les critères de diagnostic du syndrome d'Asperger (ma forme d'autisme): je m'y retrouve. Pourtant, je n'associe aucun sentiment ou aucun souvenir de souffrance à ces critères. Il m'arrive de moins bien «filer», mais rien d'anormal, et je suis certain que cela vous arrive à vous aussi.

À quoi ressemble la vie d'une personne autiste? Voici des réponses que l'on m'a données.

- «C'est avoir une déficience intellectuelle». Il n'y a pas plus de déficience intellectuelle chez nous que chez les gens non autistes (et ne vous en faites pas trop: mes petites cellules grises sont assez performantes).

- «C'est ne pas pouvoir parler». La grande majorité des autistes parlent. Mais c'est vrai que peu d'entre nous sont verbomoteurs. Cela dit, j'enseigne, je donne des conférences (non, pas que sur l'autisme!), je passe en entrevue. Avec plaisir, toujours, sans grand trac ni stress démesuré.

- «C'est être violent, quasi schizo». Nous ne sommes pas des anges (et vous donc?), mais pas des démons non plus. Il m'arrive de me fâcher, bien que je ne me rappelle pas de la dernière fois et que, personne discrète, il m'a souvent été dit que je devrais me fâcher davantage!

- «C'est voir partout des formules mathématiques, des chiffres ou des codes». Oui, bon... Mais je ne peux pas dire adorer particulièrement les maths, ni être un crack en informatique - je connais même un «Asperger» qui déteste les ordinateurs. En tout cas, je ne suis pas gadgetophile: imaginez, je n'ai pas de cellulaire. Par contre, c'est vrai que j'aime les «harmonies cachées», dans la nature, dans la musique, etc.

Petite vérité: il y a autant de diversité entre les personnes chez les autistes que chez vous. Les stéréotypes et les préjugés ne peuvent vous aider à nous comprendre. Pas plus qu'hier encore, ils ne pouvaient aider à comprendre les femmes, ou les Noirs, etc.

Faut-il se désoler de l'augmentation des cas d'autisme? Moi, je m'en réjouis et j'applaudis! Notre grand problème est de constituer une toute petite minorité: les estimations les plus optimistes que j'ai lues parlent de 3% de la population. Plus nous serons, mieux les choses pourront aller pour nous. Parce que, comme pour d'autres groupes minoritaires qui l'ont déjà fait, nous oserons prendre davantage la parole (plutôt que d'entendre des tas de gens parler à notre place), nous affirmer, oser faire des suggestions pour la marche du monde, voire même revendiquer.

Et ce ne sont pas les sujets de revendication qui nous manqueraient. Savez-vous que 80% des «Asperger» vivent de l'intimidation dans les écoles (moi, j'en ai fait un sévère syndrome de stress post-traumatique)? Que 90% des autistes n'arrivent pas à trouver et à garder un emploi pour lequel ils possèdent pourtant toutes les compétences? Que dans certains pays encore aujourd'hui, des enfants autistes subissent des «traitements» relevant carrément de la maltraitance qui visent à les «guérir» ?

À nous guérir de quoi du reste? D'une différence qui est encore mal connue et donc insuffisamment acceptée socialement.