Les manchettes rapportaient dernièrement que le commissaire au lobbying du Québec avait formulé plus d'une centaine de recommandations pour réformer les lois et les institutions qui encadrent la transparence et l'éthique en matière de lobbying.

Le commissaire est un fonctionnaire diligent et compétent, mais toutes les règles du monde ne parviendront jamais à réguler efficacement le problème de l'influence néfaste de l'argent sur la politique, car ce problème est systémique. Il est enraciné dans des pratiques sociales et économiques diffuses qui ne se laissent pas facilement repérer par les organisations bureaucratiques des gouvernements.

Dans les démocraties des pays développés, les sphères de l'économie et de la politique sont devenues de plus en plus étroitement imbriquées l'une dans l'autre. Au début du XXe siècle, le marché était libre de lui-même, sans État ni gouvernement capable de le maîtriser. Après la Deuxième Guerre, l'État-providence est né pour réguler les marchés et répartir plus équitablement les dividendes du capitalisme d'État. Mais le mouvement de dérégulation et de privatisation amorcé à partir des années 80 - loin d'avoir contribué à la disparition de l'interventionnisme gouvernemental tel que le suggérait la droite - a plutôt donné lieu à une forme nouvelle d'interventionnisme. Nous sommes passés de l'État-providence à « l'État régulateur »,  comme le décrit le célèbre politologue italien, Giandomenico Majone. Dans l'État régulateur, le gouvernement « gouverne à distance » : il délègue aux groupes socio-économiques organisés de la société le pouvoir de se réguler eux-mêmes.

Portes tournantes

Ceci amène, paradoxalement, à un rapprochement des pouvoirs politiques et économiques, car dans ce type de système, l'enrichissement privé dépend plus fortement des contacts et réseaux politiques. Ceci constitue une forme d'économie capitaliste « politisée » où l'on constate une interpénétration plus étroite entre les personnels issus du monde des affaires et de la politique. On parle de plus en plus d'un système de « portes tournantes » pour décrire le mouvement de personnel entre des politiciens et leur entourage qui quittent la politique et vont ensuite vendre leurs contacts et leurs connaissances à des organisations privées qui agissent comme entremetteurs entre le gouvernement et des entreprises cherchant à obtenir des contrats gouvernementaux ou des règlements faits sur mesure.

Ces transformations dans la gouvernance sont accompagnées, sur le plan économique, par le développement du crony capitalism, pouvant être traduit par capitalisme de connivence.

Cette connivence peut prendre plusieurs formes. Les visites de Michael Sabia à Sagard en constituent peut-être une. Mais il y a des formes de connivence qui sont pratiquées à de bien plus hauts niveaux et au su de tous, et pourtant, de celles-ci, on ne se demande pas si elles respectent ou non les règles sur le lobbying et l'éthique. Ainsi en est-il de l'adoption par l'Assemblée nationale d'une loi pour protéger les intérêts privés de Québecor dans l'affaire de l'amphithéâtre de Québec. Dans ce cas, c'est la majorité de nos députés à l'Assemblée nationale qui s'est comportée comme des lobbyistes pour Québecor. Ce sont eux, en bout de piste, qui ont omis de s'inscrire au registre des lobbyistes.