Les débats soulevés par l'affaire «Lola contre Éric» ont fréquemment été encadrés par la question juridique qui était posée et qui mettait en lumière l'importance du statut conjugal des conjoints.

Pour faire avancer ce débat, je propose une nouvelle approche juridique qui a comme ancrage le niveau d'interdépendance choisi par les conjoints.

Derrière le mariage et l'union libre se trouvent plusieurs représentations: d'un côté, plusieurs associent le mariage à l'asservissement de la femme, rappelant l'époque de nos grands-mères qui étaient confinées au foyer.  De l'autre côté, l'union libre est fréquemment présentée comme étant le choix des conjoints modernes, qui ont chacun un travail rémunéré à temps plein et qui se partagent également les tâches et les dépenses reliées au foyer et aux enfants.

Ces deux modèles cachent souvent des réalités beaucoup plus complexes. Comme le rappelle les historiennes, contrairement à la croyance populaire, plusieurs de nos grands-mères accomplissaient chez elles des tâches pour lesquelles elles étaient rémunérées. De la même manière, des chercheurs nous apprennent que les réalités des familles québécoises modernes, tout comme celles de pays comme la Suède, sont loin d'être aussi homogènes que celle dépeintes ci-haut.

Ainsi, certaines femmes, une fois devenues mères, continueront de se consacrer avec la même intensité à leur travail rémunéré, d'autres (la majorité) adapteront leur travail rémunéré (en diminuant leurs heures de travail payées, en refusant des promotions, en changeant d'emploi) ou arrêteront totalement le travail rémunéré pendant un certain nombre d'années.

Nous pouvons constater que le féminisme a largement contribué à ce que nous puissions vivre la maternité (et la paternité) de différentes façons, mais que le travail (parce que c'en est un) consacré à la famille n'a pas disparu et se serait même, selon certains chercheurs, alourdi ou complexifié.

À mon avis, le droit devrait tenir compte de la répartition des rôles (quelle qu'elle soit) comme une entente entre les conjoints par laquelle une tâche peut être accomplie par l'un parce que l'autre se charge du reste du travail. Cette situation ne tient en rien à de la dépendance menant à un besoin de protection. Il s'agit d'une relation d'interdépendance assumée.

Pour reprendre une idée énoncée par la juge Rosalie Abella, de la Cour suprême, il incombe au droit de remplir deux objectifs: soit ne pas imposer une répartition des rôles en fonction du genre, et assurer, dans la mesure du possible, la disparition des inconvénients financiers rattachés aux soins des enfants (ou, plus largement, dirions-nous, à la prise en charge de tâches reliées à la vie commune) plutôt qu'au travail rémunéré. Cette compensation reconnaîtrait à toutes les facettes du travail, une valeur égale.

Nous avons un besoin important d'études pour comprendre comment s'effectue le partage des tâches en 2013, le sens que les conjoints y donnent et les conséquences économiques de celui-ci pendant et après la relation.

Si les recherches révèlent que plusieurs femmes (et hommes) semblent prioriser cet aspect de leur vie et en font ainsi bénéficier leur conjoint(e) et que d'autres, mariés ou pas, optent pour un partage égal de toutes les tâches ou simplement ne veulent pas lier leur vie à celle de leur conjoint avec la même intensité, le droit pourrait alors encadrer ces réalités en créant deux régimes distincts, indépendamment du statut des conjoints : l'un pourrait être fondé sur une interdépendance plus intense (qui pourrait être présumée pour les couples avec enfants), mais dont il serait néanmoins possible de s'extraire. Ce régime pourrait comprendre des obligations alimentaires de type compensatoire et un partage des actifs familiaux. L'autre régime n'imposerait pas ces mêmes obligations.

Saisissons l'occasion et osons imaginer un nouveau droit qui réconcilierait clairement interdépendance, égalité et autonomie.