Le gouvernement conservateur vient tout juste de déposer sa réforme des règles canadiennes sur la prostitution et, sans surprise, il a opté pour un modèle de criminalisation. À la «canadian», prend-on la peine de préciser.

Alors que le 20 décembre dernier, la Cour suprême a jugé inconstitutionnelles les dispositions criminelles qui encadrent la prostitution et invité le gouvernement Harper à reformuler, préciser ou supprimer les articles du Code criminel en cause, voilà que le gouvernement fait complètement fi de ces conclusions en revenant à la charge avec le projet de loi C-36, un projet de loi autant, sinon plus, inconstitutionnel que le précédant. Tout est simplement formulé autrement.

Le gouvernement a beau jeu, ayant laissé couler dans les médias que les Canadiens et Canadiennes étaient en faveur de la criminalisation, d'après une «consultation publique» sur la prostitution. Une consultation publique qui, on le rappelle, a été orchestrée de toute pièce par les conservateurs, qui contenait des questions orientées, et où une même personne ou organisation pouvait répondre à plusieurs reprises. C'est dire le sérieux de l'affaire!

Parallèlement, le gouvernement refuse depuis plusieurs mois de rendre publique une large enquête d'opinion par téléphone qui pourrait contredire ses propres politiques gouvernementales. Tiens, tiens.

Revenons au modèle canadien. Celui-ci s'inspire grandement du modèle suédois, notamment lorsque le gouvernement choisit de criminaliser l'achat des services sexuels et, sans surprise, cela fait le bonheur des abolitionnistes et de la droite religieuse.

Les principaux concernés, soit les travailleuses et travailleurs du sexe, sont, quant à eux, encore une fois perdants. En effet, la Suède n'est pas un exemple à suivre. Son modèle est d'ailleurs décrié par une vaste partie des intervenants suédois sur le terrain et par divers groupes, dont le Programme des Nations-Unies pour le Développement (PNUD), l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et Amnistie internationale.

Sévir contre les clients en leur imposant de fortes amendes ne fait que poursuivre une culture prohibitionniste et la prostitution, quant à elle, continue d'être exercée dans la clandestinité. Selon une étude publiée le 4 juin dernier dans le British Medical Journal Open, criminaliser les prostituées ou leurs clients reviendrait tout simplement au même. La criminalisation des clients mettrait en effet tout autant en danger la santé et la sécurité des travailleuses et travailleurs du sexe.

Mais cela, le gouvernement et les groupes abolitionnistes n'en parlent pas, ils préfèrent se camper sur leurs positions morales, où les personnes oeuvrant dans l'industrie de la prostitution ne sont que des victimes impuissantes qu'il faut sauver.

Si le gouvernement avait véritablement écouté les recommandations du jugement Bedford, il aurait retiré du Code criminel tous les articles criminalisant la prostitution ainsi que les lois administratives y étant rattachées. Puis, il aurait mis en place un modèle de décriminalisation à l'image de la Nouvelle-Zélande. Ce modèle, élaboré avec la collaboration des principaux acteurs impliqués, permet notamment d'obliger le port du condom, d'accueillir les clients dans des endroits plus sécuritaires, de refuser un service sexuel et de faire appel aux instances juridiques et policières sans craindre de représailles.

La prohibition et la criminalisation n'aident en rien les personnes qui offrent des services sexuels, pas plus que cela n'aide à combattre les véritables fléaux de l'industrie de la prostitution, soit le proxénétisme de coercition, le gangstérisme, la traite des êtres humains, l'exploitation des mineurs, les agressions sexuelles, l'exploitation sexuelle. C'est à ces phénomènes qu'il faut s'attaquer, pas aux clients et aux travailleuses et travailleurs du sexe.

Bref, tout est à recommencer.