Les auteurs s’adressent au ministre de l’Éducation, Bernard Drainville.

Une rumeur court actuellement selon laquelle vous envisagez sérieusement de raccourcir d’une année les différents baccalauréats en enseignement. En tant qu’étudiantes et étudiants en deuxième année du baccalauréat en enseignement au secondaire, concentration français langue première, nous sommes évidemment en mesure de trouver certains avantages à cette formule raccourcie, mais nous restons cependant fortement convaincus que ce n’est pas de cette manière que vous contribuerez à résorber la pénurie d’enseignantes et d’enseignants sans précédent que l’on vit aujourd’hui.

Certes, un baccalauréat de trois ans permettrait d’alléger le fardeau financier de la communauté étudiante et de faire un grand ménage dans les contenus des programmes en enseignement, qui sont parfois répétitifs, peu adaptés à la réalité du terrain ou aux enjeux contemporains tels que la montée de l’intelligence artificielle et les perspectives féministes et autochtones. Cette occasion d’actualiser les baccalauréats en enseignement, nous la voyons d’un très bon œil !

Cela étant dit, nous sommes unanimes : malgré tous ces avantages, un bac en trois ans n’offrirait pas les outils théoriques, didactiques, pédagogiques et pratiques nécessaires à une insertion professionnelle harmonieuse. Est-il nécessaire de vous rappeler qu’à l’heure actuelle, le quart des nouvelles recrues quittent le bateau en moins de cinq ans de pratique ? Dans ce contexte, il devient présomptueux de penser qu’une année de formation en moins préparerait adéquatement plus d’enseignantes et d’enseignants à survivre à ces cinq années cruciales. Bref, une formation raccourcie rimerait avec plus de décrochage chez les nouvelles personnes enseignantes. Ce n’est pas ce que vous souhaitez, pas vrai ?

Dans ce cas, quelles autres options restent sur la table pour pallier la pénurie ? Ce qu’on veut réellement, ce sont des solutions à long terme, alors laissez-nous vous en proposer quelques-unes autour d’un enjeu beaucoup plus important, à notre avis : la revalorisation de notre profession.

Pour y arriver, il est urgent d’améliorer les conditions de travail du corps enseignant, non seulement en augmentant son salaire, mais surtout en lui donnant accès aux ressources dont il a cruellement besoin. Par exemple, vous pourriez offrir plus de soutien aux jeunes enseignantes et enseignants lorsqu’elles et ils intègrent une nouvelle équipe-école. Implanter des formules de mentorat, de coenseignement ou d’enseignement-ressource, ou encore augmenter la présence des orthopédagogues, des psychologues, des personnes techniciennes en éducation spécialisée ou en travail social, voilà des pistes prometteuses ! Le dernier stage pourrait aussi être l’occasion pour les écoles qui accueillent des stagiaires de les accompagner de manière plus soutenue dans leur insertion professionnelle. Une politique ministérielle en ce sens serait chaudement applaudie.

Vous vous en doutez bien, la question de la rémunération des stages en enseignement doit également être abordée de front pour attirer plus de personnes vers la profession. Dans le contexte économique actuel, qui peut se permettre de vivre quatre mois sans salaire ? Les bourses Perspectives, octroyées à un sous-ensemble d’étudiantes et d’étudiants, sont nettement insuffisantes. En outre, la non-rémunération des stages envoie un message déplorable aux potentiels candidats et candidates : l’enseignement n’est pas une profession valorisée dans notre société. Cette situation augmente les tensions entre le gouvernement et les futurs enseignants et enseignantes.

Bref, nous reconnaissons de bonnes raisons de réduire d’une année les différents baccalauréats en enseignement, mais il nous semble que cette tangente ne répondrait pas au problème ciblé, en l’occurrence la pénurie d’enseignantes et d’enseignants. La meilleure avenue à prendre, à notre avis, serait plutôt d’investir temps, argent et énergie dans la revalorisation de la profession enseignante, tout en veillant à ne pas détériorer la qualité de la formation initiale.

En espérant que vous tiendrez compte de notre point de vue dans vos futures réflexions sur notre belle profession,

Cosignataires de ce texte : Marie-Hélène Ayotte, Alizée Balleux, Sara-Charlie Beauchamp, Mickaël Capaz, Xavier Décarie, Fabrina Denis, Noémie Denis-Lavoie, Arianne Desautels, Rosalie Deschamps, Francis Di Lalla Bonneau, Laurent Drouin, Mélody Dubé, Florence Dupont, Pierre Fagnan, Nicolas Godin, Jérémy Labrecque, Cassandre Lalonde Chrétien, Justine Léveillé, Fritza Maxi, Nesrine Mechrouk, Rachel Mercier, Karolyne Milley, Mégane Miljours, Soumia Mounaji, Benjamin Ntouo-Ngouoni, Thomas Poirier, Elizabeth Ricard, Juliette Royer, Adel Wassim Sehibi, Lydia Thériault, Nora Zakaria, étudiantes et étudiants de 2année au baccalauréat en enseignement au secondaire, concentration français langue première, de l’UQAM, sous la supervision de Katrine Roussel, professeure en didactique des langues à l’UQAM.

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