Des images de policiers québécois arborant des écussons ornés d’un unifolié noir barré d’une mince ligne bleue (Thin Blue Line) émergent de plus en plus sur les réseaux sociaux. Cet écusson fait l’objet d’une révision éthique au Service de police de la Ville de Montréal depuis février 2022, sans date précise concernant la fin des travaux⁠1.

Au début de 2022, la mairesse Valérie Plante a fait part de son inconfort concernant le port de ces écussons. À ce jour, aucune politique n’a été mise en place.

Quel symbolisme ?

La Fédération des policiers et policières municipaux du Québec soutient que le port de la Thin Blue Line s’inscrit surtout dans un devoir de mémoire, notamment pour les policiers morts en service. Il faut, selon la Fédération, distinguer la nature commémorative du symbole et son rattachement aux idéaux controversés promulgués par certains groupes d’extrême droite. Une telle solution est manifestement mal fondée.

Il suffit d’examiner la mutation de maints vocables et symboles culturels désormais proscrits dans les registres lexicaux et symboliques occidentaux. Il en est notamment ainsi de la croix gammée dans les cultures bouddhiste et hindouiste qui est, à juste titre, bannie du registre symbolique occidental, vu son rapport ultérieur avec l’idéologie nazie. Assurément, on ne saurait permettre à un agent de la paix, aussi bien intentionné soit-il, de porter un écusson orné de ce symbole, nonobstant la provenance historique vraisemblablement positive du symbole.

Il faut distinguer l’argumentaire de la Fédération, aussi louable soit-il, des effets tangibles qu’a l’écusson sur maintes communautés marginalisées.

Nonobstant la triste raison d’être de la Thin Blue Line, ce symbole ne saurait être admis au détriment de la neutralité que le droit québécois exige des employés de l’État. N’est-ce pas ici l’une des assises de la loi 21 ?

L’équivalent états-unien du symbole a été arboré à maintes reprises par des suprémacistes blancs, aux côtés de drapeaux confédérés, lors du rassemblement Unite the Right de 2017 à Charlottesville, en Virginie. Des observateurs ont également constaté la récupération du symbole en réponse au mouvement Black Lives Matter, dans la foulée des émeutes de Ferguson et, plus récemment, à la suite du meurtre de l’Afro-Américain George Floyd, étouffé sous le genou d’un policier blanc.

Le symbole s’avère dorénavant ancré au contre-mouvement Blue Lives Matter, qui prend notamment position sur le définancement de la police. En arborant un écusson symbolisant la Thin Blue Line, la neutralité politique du policier est remise en question. Les connotations hostiles que l’on attribue au symbole, notamment les liens observés avec l’extrême droite, risquent manifestement de porter atteinte au lien de confiance entre la police et certaines communautés marginalisées. On n’y voit pas ici une simple discordance de valeurs : la réappropriation du symbole par l’extrême droite est à ce point grave que son interdiction est nécessaire.

Que dit la loi ?

La Loi sur la police est claire : les policiers doivent porter leur uniforme sans y substituer aucun élément. La loi interdit également toute modification de l’uniforme. Une exception existe néanmoins : l’exemption législative ou l’autorisation du directeur d’un corps de police.

Notons que le symbole est interdit par certains corps de police canadiens, dont la GRC et la police d’Ottawa. À ce jour, aucune interdiction n’a été décidée par les corps policiers québécois. À Québec, le cabinet du ministre de la Sécurité publique a refusé de se prononcer sur le port du symbole.

1. Lisez la chronique de Patrick Lagacé « La patate chaude du chef Dagher » Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue