Karlheinz Schreiber est revenu sur ses propos de la veille, hier, à la commission Oliphant. Il a affirmé que l'entente entre Brian Mulroney et lui n'a pas été conclue à un moment particulier, mais est plutôt le fruit de pourparlers constants entre le 3 juin 1993, soit trois semaines avant le départ de M. Mulroney du 24 Sussex, et les mois qui ont suivi.

Cette déclaration de M. Schreiber contredit celle qu'il avait faite jeudi et dont l'équipe de communications de Brian Mulroney s'était réjouie. L'homme germano-canadien avait alors affirmé que l'entente avait été conclue deux mois après le départ de M. Mulroney du gouvernement, lors de leur rencontre dans une chambre d'hôtel de l'aéroport de Mirabel à la fin du mois d'août 1993.

 

C'est l'une des précisions que l'homme d'affaires a faites lors de l'interrogatoire mené par son avocat hier après-midi, après une semaine de témoignage éprouvante et parfois dommageable pour la version des faits fournie par cet acteur-clé de l'affaire Mulroney-Schreiber.

C'est à l'occasion de cette rencontre que M. Schreiber a remis à l'ancien premier ministre la première des trois enveloppes remplies de billets de 1000$ qu'il lui a données entre 1993 et 1994. La commission Oliphant a été mise sur pied pour déterminer la raison pour laquelle ces paiements de 225 000$ à 300 000$ ont été faits. Elle doit entre autres déterminer si les deux hommes se sont entendus alors que M. Mulroney était toujours premier ministre.

Or, jusqu'à jeudi, Karlheinz Schreiber avait plutôt fait allusion à leur rencontre au lac Harrington, le 23 juin 1993, soit deux jours avant que Brian Mulroney démissionne de son poste de premier ministre, comme point de départ.

«Inexactitudes»

Brian Mulroney et son équipe n'ont pas réagi à ces commentaires. Plus tôt dans la journée, cependant, ses avocats ont réussi à arracher un autre aveu à l'homme d'affaires germano-canadien: la déclaration sous serment en question comportait un certain nombre d'inexactitudes.

M. Schreiber a déposé celle-ci en novembre 2007 à la Cour supérieure de l'Ontario dans le cadre d'une poursuite civile qu'il a intentée à Brian Mulroney pour recouvrer les 300 000$ qu'il lui avait payés 15 ans plus tôt. La première ligne du premier paragraphe du mandat confié au commissaire Oliphant se lit ainsi: «Attendu que Karlheinz Schreiber a formulé diverses allégations, notamment dans une déclaration sous serment faite le 7 novembre 2007 (...)».

Ces erreurs et inexactitudes relevées par Guy Pratte, l'un des avocats de M. Mulroney, touchent notamment l'allégation selon laquelle Brian Mulroney lui a dit personnellement qu'il rencontrerait le premier ministre Stephen Harper au lac Harrington en juillet 2006.

M. Schreiber a expliqué que c'était plutôt l'ancien ministre conservateur Elmer MacKay qui le lui avait dit.

Il a aussi reconnu qu'il n'avait pas vérifié toutes les pièces déposées à la Cour supérieure de l'Ontario au soutien de ce document crucial daté du 7 novembre 2007.

«Cet affidavit, comme nous l'avons révisé en détail, est plein d'exagérations et d'inexactitudes et de déclarations tout simplement pas vraies. N'est-ce pas exact?» a demandé Me Pratte.

C'est ce que vous dites... a répondu Karlheinz Schreiber.

Non! C'est ce que vous avez convenu avec moi au cours des deux derniers jours!

Il y a des points qui ne sont pas exacts, je suis d'accord avec vous.»

Il n'est toutefois pas allé jusqu'à dire qu'il avait volontairement inclus ces inexactitudes dans le document pour éviter l'extradition vers l'Allemagne, comme l'a suggéré l'avocat.

MacKay a parlé à Mulroney

Par ailleurs, le ministre de la Défense Peter MacKay a admis avoir parlé à Brian Mulroney récemment, malgré une directive de Stephen Harper interdisant tout contact avec l'ancien premier ministre du Canada.

MacKay dit avoir vu M. Mulroney pendant un match de hockey à Montréal, en début d'année, et avoir discuté avec lui pendant quelques minutes. M. MacKay a ajouté que les deux hommes ne s'étaient pas parlé depuis ce temps.

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Dix témoins

La commission Oliphant doit entendre 10 témoins la semaine prochaine. Lundi, deux fonctionnaires responsables de la correspondance au Bureau du Conseil privé doivent expliquer comment les lettres adressées au premier ministre sont traitées. Mercredi, l'ancien ministre conservateur Elmer MacKay, un proche de Karlheinz Schreiber, est attendu. M. MacKay, qui est le père de l'actuel ministre de la Défense, Peter MacKay, était un ardent défenseur du projet Bear Head d'usine de véhicules blindés en Nouvelle-Écosse. Parmi les autres témoins, on retrouve l'auteur et avocat William Kaplan, l'ancien vice-président de Bear Head Industries, Greg Alford, et Paul Terrien, ancien rédacteur de discours de M. Mulroney et actuel chef de cabinet du ministre des Affaires étrangères, Lawrence Cannon.

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Faits saillants du témoignage 

Jour 1

blank_page> Karlheinz Schreiber fait son entrée à la commission en promettant aux journalistes «sept scandales en un».

> La journée se passe moins bien que prévu: l'avocat principal de la commission, Richard Wolson, l'interroge de très près sur la raison pour laquelle il a omis, lors d'un interrogatoire en 2004 dans l'affaire Eurocopter, de mentionner certaines rencontres avec Brian Mulroney.

Jour 2

> L'interrogatoire serré de Me Wolson se poursuit. Karlheinz Schreiber dit qu'il ne payait Brian Mulroney qu'au cas où il aurait besoin de ses services, puisqu'il savait qu'il ne pouvait faire aucun travail pour les centaines de milliers de dollars qu'il lui donnait.

> La preuve révèle que ce n'est qu'en 1999, soit cinq ans après le dernier paiement et seulement quelques mois après que M. Mulroney eut déclaré ces sommes à l'impôt, que son entourage tente d'établir avec Karlheinz Schreiber quel était le mandat de l'ancien premier ministre.

Jour 3

> Les avocats de Brian Mulroney commencent leur interrogatoire. Son équipe de communications crie victoire lorsque M. Schreiber déclare sous serment que l'entente conclue avec Brian Mulroney pour le projet Bear Head ne l'a été qu'une fois qu'il eut quitté ses fonctions de premier ministre.

> Dans l'une de ces énigmes dont il a le secret, M. Schreiber glisse dans l'une de ses réponses qu'il a déjà rencontré Brian Mulroney seul à seul dans son bureau de premier ministre. «Mais je ne veux pas en parler maintenant», dit-il.

Jour 4

> Lorsque interrogé par son avocat, Karlheinz Schreiber revient sur ses propos de la veille: l'entente entre Brian Mulroney et lui n'a pas été conclue à un moment particulier. Elle est plutôt le fruit de pourparlers constants entre le 3 juin 1993, soit trois semaines avant le départ de M. Mulroney du 24 Sussex, et les mois qui ont suivi.

> Pressé par l'avocat de Brian Mulroney, Me Guy Pratte, M. Schreiber admet que la déclaration sous serment qu'il a déposée à la Cour supérieure de l'Ontario, et considérée comme l'un des déclencheurs de la commission Oliphant, comportait plusieurs inexactitudes.