Les conservateurs de Stephen Harper sont passés à l'offensive hier en tentant de transformer la crise politique en une menace pour l'unité nationale.

Le premier ministre Stephen Harper a affirmé aux Communes durant une période de questions particulièrement survoltée que le chef libéral Stéphane Dion avait «trahi» les électeurs, renié l'héritage du Parti libéral, et sacrifié les intérêts supérieurs de l'économie canadienne en concluant un accord avec le NPD et le Bloc québécois pour former un gouvernement de coalition.M. Harper a tenu ces propos alors que la gouverneure générale Michaëlle Jean a décidé d'écourter sa visite officielle en Europe afin de rentrer au pays pour s'occuper de la crise. Le premier ministre devrait rencontrer le chef de l'État aujourd'hui ou demain pour discuter de la situation.

Les conservateurs, qui ont lancé une offensive publicitaire sur les ondes des stations de radio pour dénoncer l'accord conclu entre Stéphane Dion, Jack Layton et Gilles Duceppe, pourraient avoir de nouvelles munitions pour attaquer les libéraux dès aujourd'hui. L'ancien premier ministre Jacques Parizeau doit en effet se prononcer en faveur de la formation d'un gouvernement de coalition dirigé par Stéphane Dion et soutenu par le chef bloquiste aujourd'hui. Cette sortie de ce souverainiste de longue date pourrait faire réfléchir certains libéraux.

Après avoir semblé résigné à perdre le pouvoir durant une réunion de son caucus lundi après-midi, M. Harper n'a laissé planer aucun doute hier sur son intention de contrer les manoeuvres des trois partis de l'opposition en prorogeant le Parlement au cours des prochains jours, soit avant le vote de confiance prévu lundi prochain sur une motion de censure, selon certaines sources conservatrices.

Le premier ministre compte aussi expliquer cette décision aux Canadiens dans un discours devant la nation qu'il pourrait prononcer d'ici la fin de semaine, selon des informations obtenues par La Presse.

Durant toute la journée, hier les conservateurs ont joué à fond la carte de l'unité nationale pour remporter la bataille de l'opinion publique au sujet de la détermination des libéraux et des néo-démocrates de renverser le gouvernement Harper et de former un gouvernement de coalition soutenu par le Bloc québécois.

«Le plus grand principe de la démocratie canadienne est que si quelqu'un veut devenir premier ministre, il obtient son mandat de la part du peuple canadien et non pas des séparatistes du Québec. Cette entente que le chef du Parti libéral a conclue avec les séparatistes est une trahison des électeurs, une trahison des meilleurs intérêts de notre économie, une trahison des intérêts supérieurs de notre pays. Nous allons la combattre avec tous les moyens que nous avons à notre disposition», a affirmé Stephen Harper.

Le premier ministre a été chaudement applaudi par ses troupes à plusieurs reprises durant les nombreux échanges qu'il a eus avec Stéphane Dion et Jack Layton.

Dion piqué au vif

Manifestement piqué au vif par ces attaques, le chef libéral a soutenu à plusieurs reprises que le gouvernement Harper avait perdu la confiance de la Chambre en refusant de déposer de nouvelles mesures pour stimuler l'économie canadienne dans son énoncé économique de la semaine dernière.

Il s'est aussi défendu de nuire à l'unité du pays en formant un gouvernement de coalition appuyé par un parti souverainiste. M. Dion a été le bras droit de Jean Chrétien dans le dossier de l'unité nationale dans les années 90 et est le père de la Loi sur la clarté référendaire honnie des souverainistes. «J'ai donné ma vie pour l'unité de ce pays, pour mon amour envers le Canada. Avec cette entente, le Bloc a accepté d'avoir 18 mois de stabilité politique au Canada. Voilà ce qu'obtient le Canada par le biais de cette entente», a rétorqué Stéphane Dion.

«Celui qui divise les Canadiens plus que quiconque est le premier ministre lui-même (...) Le premier ministre a failli à la tâche de s'attaquer à la crise économique. Il a échoué. S'il était un démocrate, il permettrait à cette Chambre de lui montrer jusqu'à quel point il a échoué», a encore dit M. Dion.

Le chef bloquiste Gilles Duceppe et le leader du NPD Jack Layton ont tour à tour repris le thème de la confiance perdue par le gouvernement Harper aux Communes, signe que les trois partenaires de la coalition travaillent déjà étroitement ensemble.

«Le Bloc a mis des propositions réalistes sur la table pour stimuler l'économie dans l'intérêt du Québec, des propositions qui en grande partie ont été reprises par la coalition, mais qui ont été ignorées dans l'énoncé idéologique de ce gouvernement. Le premier ministre réalise-t-il que son étroit couloir idéologique l'a mené dans un cul-de-sac et qu'il a perdu la confiance de la Chambre», a lancé Gilles Duceppe.

«Les partis de ce côté de la Chambre ont mis de côté leurs différences pour travailler ensemble. La priorité du prochain gouvernement de coalition est de mettre de l'avant des solutions importantes pour l'économie. C'est ce que les gens recherchent maintenant. Puisque les conservateurs ont refusé de le faire, comment les Canadiens peuvent-ils avoir confiance en ce gouvernement?» a demandé Jack Layton.

Devant les journalistes, Stéphane Dion a affirmé que le premier ministre s'accrocherait au pouvoir de manière inacceptable en prorogeant le Parlement «Si le gouvernement n'a pas la confiance du Parlement, il ne peut plus être le gouvernement. M. Harper essaie de rester le gouvernement quand il n'a plus la confiance du Parlement et ça, ce n'est pas démocratique», a-t-il dit.

Pour sa part, Gilles Duceppe a soutenu que sa décision d'appuyer un gouvernement de coalition fera avancer la cause de la souveraineté. «Tous les gains que nous faisons ici sont bons pour le Québec. Et ce qui est bon pour le Québec est bon pour un Québec souverain», a-t-il dit.