C'est la faim qui pousse les femmes de N'Zérékoré à se prostituer. Elles trouvent leurs clients dans les bars de la ville. Les hommes paient 5000 francs (1,05$), parfois 10 000, pour une heure.

Certains veulent faire l'amour sans condom. Ils doublent le prix. Miatta a déjà accepté. C'est la faim qui l'a forcée à prendre de tels risques. Elle a été chanceuse, elle n'a pas attrapé le sida. Elle s'en est tirée avec quelques infections.

 

N'Zérékoré est la plus grosse ville de la Guinée forestière, un district perdu dans l'arrière-pays. Une seule route mène à la capitale, Conakry. Elle s'étire sur 1000 kilomètres et, pendant la saison des pluies, les camions chargés de vivres s'enlisent dans des ornières.

Ici, tout coûte plus cher. Un litre d'eau minérale se vend 2000 francs, 42 cents canadiens, à Conakry, 6000 à N'Zérékoré. Le sac de 50 kg de riz, lui, passe de 220 000 (46$) à 260 000 francs (54$). La majorité des habitants ne mangent pas à leur faim.

En avril, le prix du litre d'essence a quasiment doublé, grimpant de 4300 (90 cents) à 7000 francs (1,46$). Une catastrophe pour la région. Il n'y a pas d'électricité en Guinée forestière. Lorsque le soleil se couche, N'Zérékoré est plongé dans l'obscurité.

«Les gens ont l'impression que le gouvernement les a abandonnés, explique le coordonnateur des agences de l'ONU à N'Zérékoré, Gédéon Behiguim. Ils n'ont pas tort. L'État ne fait rien, il est complètement dysfonctionnel.»

Pourtant, au milieu des années 90, la Guinée forestière était le grenier du pays. Mais depuis 15 ans, la région a souffert. Les guerres civiles du Liberia et de la Sierra Leone ont jeté des centaines de milliers de familles sur les routes de la Guinée. N'Zérékoré est située à une trentaine de kilomètres du Liberia. Les réfugiés ont exercé une pression énorme sur les ressources de la ville.

Miatta a d'ailleurs fui le Liberia, son pays natal. Elle avait 2 ans. Lorsque ses parents ont été tués, des voisins l'ont recueillie et amenée à N'Zérékoré. À 19 ans, ils l'ont abandonnée. Elle s'est retrouvée seule, sans le sou.

Elle a fait comme la plupart des femmes démunies: elle est entrée dans le premier bar venu et elle a accepté de coucher avec un homme pour 5000 francs. Pendant un an, elle est passée d'un client à l'autre, parfois sans condom.

«Dès que j'avais un peu d'argent, j'achetais de la nourriture, raconte-t-elle. Je vivais chez des copines.»

Lucie Sagno, elle, a commencé à se prostituer à 13 ans lorsque ses parents ont divorcé. Son père l'a abandonnée et sa mère «n'avait pas les moyens» de la garder.

Elle allait dans les restaurants et demandait aux clients si elle pouvait prendre leurs restes. Elle lavait les bols contre un peu de riz. Quand elle couchait avec un homme, il lui donnait 3000 (63 cents), francs, parfois 5000.

En 2003, Miatta a entendu parler de Twin pour la première fois. C'est une ONG locale qui écume les bars et essaie de convaincre les femmes d'abandonner la prostitution. Twin est épaulée par l'UNICEF et le Programme alimentaire mondial (PAM), deux agences de l'ONU. Elle donne des cours aux ex-prostituées: couture, coiffure, teinture...

Miatta a passé deux ans à Twin. Lucie, huit mois. Elle a 18 ans, Miatta 23. Les deux ont choisi la coiffure.

Lucie étudie encore. Miatta, elle, a eu son diplôme en 2006, mais elle n'a pas trouvé de travail. Elle vient souvent chez Twin, car elle peut manger gratuitement grâce au PAM.

Elle a trouvé une chambre en ville et elle a un copain, un étudiant. Les repas du PAM l'aident à survivre. C'est peu, mais au moins, dit-elle, elle a réussi à faire une croix sur la prostitution. Pour l'instant.