«Tous ceux qui mangent dans l'auge ne viennent pas nous voir. Ce sont ceux à l'écart qui se font ruer dedans en essayant d'atteindre l'auge qui viennent dénoncer le système.»

Le chef des enquêtes sur les crimes économiques de la Sûreté du Québec, Michel Forget, a choisi cette métaphore zoologique pour résumer les défis qui attendent sa nouvelle escouade «Marteau» créée afin de faire le ménage dans l'industrie de la construction.

«On veut rétablir une saine compétition pour que tout le monde puisse manger dans l'auge», a résumé M. Forget à La Presse, jeudi, en marge de la conférence de presse qui s'est tenue au quartier général de la SQ à Montréal.

Depuis cinq ans, la division des crimes économiques de la SQ compte quelque 60 enquêteurs. Durant cette période, ils ont ouvert une soixantaine d'enquêtes sur des allégations de corruption et de collusion, selon des statistiques fournies à La Presse. Des enquêtes qui n'ont pas toutes mené à des condamnations, reconnaît M. Forget. Avec l'escouade Marteau, cette division de la SQ doublera son nombre d'enquêteurs.

Le gouvernement de Jean Charest donnera du muscle à l'escouade mixte sur la malversation créée il y a un mois à peine en lançant l'opération Marteau, ont annoncé en grande pompe, jeudi, trois de ses ministres aux côtés du directeur de la SQ, Richard Deschesnes, et du Directeur des poursuites criminelles et pénales, Me Louis Dionne.

L'escouade mixte comptera une quarantaine de policiers de la SQ, sept procureurs, deux policiers de la Gendarmerie royale du Canada spécialisés dans la mafia ainsi que des employés de la Régie du bâtiment du Québec et de la Commission de la construction du Québec. L'opération Marteau coûtera 26,8 millions à mettre sur pied. Une ligne téléphonique est déjà en fonction pour joindre les enquêteurs en toute confidentialité (1-888-444-1701).

«Certains vont dire que notre réponse est exagérée. À ceux-là, je réponds qu'on a besoin d'une réponse musclée, importante», a souligné le ministre de la Sécurité publique, Jacques Dupuis. Son gouvernement écarte pour l'instant la tenue d'une enquête publique sur l'industrie de la construction. Si la SQ, au terme de ses enquêtes, l'avise qu'elle se trouve dans un cul-de-sac, il considérera de nouveau cette option, a-t-il répété jeudi. Les partis de l'opposition à Québec réclament sans relâche depuis plusieurs jours la tenue d'une enquête publique, en plus d'accuser le gouvernement Charest de ne rien faire dans le dossier.

Le modèle des escouades spéciales comme Carcajou, qui a fortement ébranlé les groupes de motards criminels, a fait ses preuves, selon le ministre Dupuis. Son homologue au Travail, Sam Hamad, a quant à lui annoncé un resserrement du contrôle des appels d'offres, comme l'avait révélé La Presse la veille. «Le moment est venu de resserrer les mailles du filet», a-t-il indiqué en conférence de presse.

Le ministre du Travail proposera une série de modifications législatives afin de contrer l'intimidation et la collusion dans l'industrie de la construction. Si ces modifications sont adoptées, les entrepreneurs en construction avec un casier judiciaire liés à des activités de corruption et de collusion ne se qualifieront pas pour des appels d'offres du gouvernement.

De plus, la Régie du bâtiment du Québec pourra retirer la licence d'un entrepreneur si elle découvre qu'un de ses actionnaires ou un de ses prêteurs a été condamné pour une infraction criminelle au cours des cinq dernières années, a aussi annoncé le ministre Hamad.

La Commission de la construction du Québec aura également son équipe tactique d'intervention formée d'une quarantaine de personnes afin de détecter l'évasion fiscale et le blanchiment d'argent sur les chantiers, surtout dans les régions de Montréal et de Québec. Le ministre du Travail veut aussi empêcher qu'un entrepreneur obtienne une licence sous un faux nom.

Le ministre du Revenu, Robert Dutil, exigera quant à lui une attestation de conformité fiscale à tout soumissionnaire d'un contrat de 25 000 $ et plus d'un organisme public. Le gouvernement Charest a tenu à préciser que la majorité des membres de l'industrie de la construction, le second plus important secteur économique du Québec, sont d'honnêtes travailleurs.