La brigade d'enquêteurs du ministère des Transports, qui travaillait sous la responsabilité de Jacques Duchesneau, a transmis à l'escouade Marteau de la Sûreté du Québec une demi-douzaine de dossiers concernant des entreprises de la grande région de Montréal, a appris La Presse.

Le groupe d'enquêteurs a relevé des indices de «collusion» pour fixer les prix entre des firmes du «Fab Fourteen», le groupe de 14 entrepreneurs qui, depuis des années, récoltent les contrats publics dans la grande région métropolitaine. Ces contrats touchent la construction de routes et de viaducs à Montréal, Laval ainsi que dans la région de Lanaudière.

 

 

Devant les trouvailles de ses enquêteurs, Jacques Duchesneau a eu «des flashbacks» qui l'ont ramené à sa campagne de 1998, confie un proche.

Mais le travail de l'unité anticollusion commençait à déranger plusieurs entrepreneurs, ont affirmé un membre de cette unité et un député bien au fait du dossier.

Car la présence assidue des enquêteurs de cette unité, jumelée au travail de l'escouade Marteau et aux nombreuses révélations dans les médias, a contribué à faire baisser les coûts des travaux au ministère des Transports (MTQ). «Résultat: les profits de grosses entreprises ont eux aussi baissé», nous a expliqué une des sources.

Économie de 311 millions

Avant de lancer des appels d'offres, le MTQ estime le coût des travaux. Depuis plusieurs années, les soumissions gagnantes se rapprochaient curieusement de ces estimations. En moyenne, les prix étaient de 2% plus élevés que les estimations. Ainsi, si le MTQ estimait que des travaux devaient coûter 10 millions, la soumission la plus basse s'élevait à 10,2 millions.

Or, depuis un an, les soumissions sont en moyennes de 16,4% inférieures aux estimations. Les estimations étudiées par l'unité anticollusion, cette année, étaient de 1,7 milliard de dollars. Les prix demandés par les plus bas soumissionnaires sont en moyenne de 16,4% inférieurs à ces estimations. Pour le Trésor public, l'économie est colossale: 311 millions.

«Mais c'est aussi 311 millions de moins dans les poches des gros entrepreneurs», nous a dit une source.

Les enquêteurs de l'unité multiplient les visites-surprises sur les chantiers, notamment pour vérifier si des inspecteurs du ministère des Transports subissent des pressions. Un exemple parmi d'autres: le 15 septembre, deux enquêteurs se sont rendus sur un pont en réfection. Les travaux ont été confiés à une entreprise bien connue, qui a fait la manchette depuis deux ans.

«Deux enquêteurs se sont présentés sur le chantier, a relaté notre source. Pour la première fois, ils assistaient à la réunion de chantier. On nous avait dit qu'un gars de la compagnie faisait la pluie et le beau temps. Les deux enquêteurs de l'unité sont deux gars imposants. Le gars de la compagnie s'est fermé la trappe. Notre intervention n'a pas du tout été appréciée.»

Rappelons que M. Duchesneau a quitté temporairement ses fonctions le temps que le Directeur général des élections se penche sur le financement de son défunt parti municipal, Nouveau Montréal. TVA rapportait qu'un organisateur avait joué le rôle de prête-nom en cautionnant un emprunt du parti.

Les policiers s'impatientent

Dans la région de Québec, on s'attend à des développements importants dès la semaine prochaine à la suite des enquêtes de Marteau. Des bureaux d'ingénieurs-conseils sont depuis un moment dans la ligne de mire de la police.

Mais des sources à la SQ indiquent que les policiers s'impatientent en l'absence de suite aux dossiers qu'ils ont déposés «depuis des mois dans certains cas», au bureau du Directeur des poursuites criminelles et pénales, Me Louis Dionne. C'est à ce niveau qu'on décide si le dossier est suffisamment solide pour déposer des accusations.

Le fait que les policiers et les procureurs de la Couronne soient toujours en négociations sur le renouvellement de leur convention n'aide pas à faire avancer les choses. «L'équipe des crimes économiques est aussi surchargée, comme tous les autres procureurs, il y a là des problèmes de recrutement et de rétention, deux avocats sont encore partis la semaine dernière. Il manque 200 procureurs au Québec», a résumé Me Christian Leblanc, le président de l'Association des procureurs de la Couronne.

D'autre part, pour Jean-Guy Dagenais, président du syndicat des 5000 policiers de la SQ, «les enquêteurs commencent à trouver difficile la pression publique. Tous les jours, on parle de Marteau. Je dois demander au gouvernement de cesser de mettre de la pression sur ces enquêteurs d'élite», a dit M. Dagenais.

Lors de l'étude des crédits du ministère de la Sécurité publique le printemps dernier, Me Dionne avait indiqué qu'il ne se mêlait pas des enquêtes en général et ne touchait pas davantage aux dossiers provenant de l'escouade Marteau. Or, la députée adéquiste de Lotbinière, Sylvie Roy, avait répliqué en déposant un courriel de Me Dionne où il demandait aux avocats qui reçoivent les demandes des policiers de lui transmettre toutes les questions touchant l'enquête Marteau.