En vertu de la Loi sur le bâtiment, les entreprises Construction Louisbourg et Simard-Beaudry risquent de voir leur licence suspendue si elles sont déclarées coupables de fraude fiscale. Compte tenu de leur importance, l'industrie de la construction au Québec connaîtrait alors un bouleversement sans précédent.

Les deux sociétés et leurs quelque 10 filiales, dirigées depuis des années par Tony Accurso, ont toutes la même licence de la Régie du bâtiment. Depuis 1990, elles ont obtenu pour environ 1 milliard de dollars de contrats publics au Québec, ce qui fait de M. Accurso l'un des acteurs les plus importants, sinon le plus important de l'industrie. Ses entreprises sont aussi très présentes dans le secteur privé.

Dans une déclaration datant de 1994 et déposée à la Cour de justice de l'Ontario, le dirigeant d'une grande société américaine qui voulait s'établir au Canada a noté «qu'aucune firme ne pourrait faire affaire avec succès dans l'industrie de la construction en Ontario et au Québec sans la pleine coopération de certains leaders de l'industrie, dont Tony Accurso».

Depuis 1990, Louisbourg et Simard-Beaudry ont obtenu du ministère des Transports du Québec (MTQ) des contrats d'une valeur de quelque 635 millions de dollars. Les sommes ont gonflé de façon spectaculaire à compter de 2003, lors de l'arrivée au pouvoir du gouvernement de Jean Charest. Depuis le 1er janvier 2009, elles ont obtenu 310 millions du MTQ, soit la moitié du total encaissé depuis 20 ans. Cela comprend des projets d'envergure comme la réfection d'un pont sur le Richelieu, des viaducs sur l'autoroute 15, l'échangeur Décarie à Montréal.

À Hydro-Québec, un consortium regroupant Simard-Beaudry et Excavation Marchand & Fils a obtenu trois contrats pour une somme totale de 56,5 millions de dollars dans le chantier de la centrale Eastmain 1-A Rupert.

De 2006 à 2009, Construction Louisbourg a obtenu pour plus de 100 millions de dollars de contrats de la Ville de Montréal, indique le vérificateur général de la Ville, Jacques Bergeron, dans un rapport publié en mai. Pendant la même période, l'arrondissement d'Anjou a confié tous ses contrats à cette firme. «Bien que ces contrats aient été adjugés au plus bas soumissionnaire conforme, je demeure néanmoins perplexe en regard du fait que certains arrondissements octroient une forte proportion de leurs contrats aux mêmes entrepreneurs», écrit M. Bergeron dans son rapport.

Entre 2001 et 2008, Construction Louisbourg et Simard-Beaudry ont obtenu le quart des contrats (en valeur) attribués par la Ville de Laval, soit 97 millions de dollars, sur un total de 388 millions.

La Loi sur le bâtiment précise qu'«une licence est délivrée à une société ou personne morale qui satisfait aux conditions suivantes: (...) elle n'a pas été déclarée coupable d'une infraction à une loi fiscale ou d'un acte criminel et qui sont reliés aux activités que la personne entend exercer dans l'industrie de la construction».

Si Construction Louisbourg et Simard-Beaudry étaient reconnues coupables de fraude fiscale, la Régie du bâtiment devrait donc déterminer si elles peuvent garder leur licence. Tout dépend de la gravité des accusations. La suspension de la licence n'est pas automatique. Nous avons tenté de joindre un représentant de la Régie, hier, mais sans succès.

«La loi est censée empêcher des sociétés déclarées coupables de faire affaire avec l'État, a souligné hier le député péquiste Sylvain Simard, président de la Commission de l'administration publique. Cela dit, je constate que ces accusations ne sont pas le résultat des enquêtes menées par le gouvernement du Québec, alors qu'il dit qu'il fait une priorité de la lutte contre l'évasion fiscale.»

M. Simard ne trouve pas «rassurant» le fait que Simard-Beaudry est une importante composante du consortium qui a obtenu le contrat de construction du Centre universitaire de santé McGill (CUSM) «alors qu'elle est poursuivie par le gouvernement fédéral pour une fraude fiscale majeure».