L'escouade Marteau a porté son premier grand coup, jeudi, en arrêtant sept personnes à l'issue d'une enquête qui a mis en évidence le rôle méconnu mais essentiel des firmes de génie-conseil dans le système de collusion et de corruption au Québec.



Une trentaine d'agents de la Sûreté du Québec ont arrêté et interrogé l'ex-mairesse de Boisbriand, Sylvie St-Jean, et les dirigeants de la firme Infrabec, Lino et Giuseppe Zambito. Ils ont aussi arrêté quatre cadres et employés de deux firmes de génie-conseil- la vice-présidente de Roche, France Michaud, et un de ses employés, Gaétan Morin- ainsi que deux employés de la firme BPR, Rosaire Fontaine et Claude Brière, par ailleurs ancien conseiller municipal à Boisbriand.

Au total, ils devront répondre à 28 chefs d'accusation, notamment de fraude, d'abus de confiance, de corruption, de complot et d'extorsion, a indiqué jeudi l'inspecteur Denis Morin, de la division des enquêtes de la SQ.

«Pendant plusieurs années, un système aurait été mis en place afin de favoriser certaines firmes pour le partage de contrats municipaux très lucratifs, a dit M. Morin. Ce système visait à fournir des avantages à certains anciens conseillers ou élus municipaux de la Ville de Boisbriand en échange de décisions favorables dans l'octroi de contrats.»

C'est précisément à Boisbriand, au nord de Montréal, que l'escouade Marteau, fraîchement créée, a frappé son premier coup, il y a 14 mois. Les enquêteurs avaient mené une perquisition dans les locaux de l'entreprise Infrabec ainsi qu'à l'hôtel de ville et dans son service des travaux publics. Les policiers s'intéressaient au contrat accordé par l'ancienne mairesse Sylvie St-Jean à Infrabec pour l'agrandissement de l'usine d'épuration des eaux.

Les plans de cet agrandissement avaient été dessinés par les ingénieurs du Groupe-conseil Roche. Les bureaux du groupe à Montréal et à Québec ont reçu la visite des policiers en avril dernier.

À elle seule, France Michaud, la vice-présidente de Roche, devra répondre à 13 chefs d'accusation, ce qui fait d'elle la personne la plus ciblée par l'opération de jeudi. Elle est accusée de complot pour commettre un acte de corruption. Un des chefs se lit comme suit: «Entre septembre 2005 et novembre 2005, (France Michaud) a offert ou convenu de donner ou d'offrir à un fonctionnaire de la Ville de Boisbriand, à savoir Sylvie St-Jean, par l'entremise de feu Jean-Guy Gagnon et d'un consultant d'une firme de génie-conseil, et à des membres du conseil municipal, un prêt, une récompense, un avantage ou un bénéfice en considération du fait pour eux d'aider à obtenir l'adoption ou de voter pour une mesure, une motion ou une résolution.»

Le vice-président aux communications de Roche, Jacques Thivierge, a réagi par communiqué aux arrestations de jeudi: «Nos deux employés (Mme Michaud et Gaétan Morin) sont présumés innocents et nous ne doutons aucunement de leur intégrité. Nous allons les appuyer dans leur défense.»

La firme BPR s'est montrée avare de commentaires. «Nous avons pris connaissance des arrestations de nos collaborateurs (Rosaire Fontaine et Claude Brière) en lisant Cyberpresse il y a quelques heures, nous a dit Kathia Brien, directrice des communications de la firme de génie-conseil. Nous n'avons pas d'information additionnelle.»

Au cours de sa conférence de presse, l'inspecteur Denis Morin a dit que les arrestations n'étaient pas liées seulement au contrat pour l'agrandissement de l'usine d'épuration des eaux, mais à plusieurs autres. «Il y a eu des cadeaux, entre autres des voyages, et divers avantages», a-t-il ajouté.

Au cours d'un entretien avec La Presse, le capitaine Éric Martin, responsable de l'opération Marteau, a longuement insisté sur le rôle présumé des firmes d'ingénieurs dans le système général de collusion au Québec.

«C'est important de comprendre que, dans les contrats, les ingénieurs travaillent parfois ensemble en consortium, parfois de façon indépendante. Ce qu'ils vont essayer de faire, c'est de se partager les contrats lucratifs, a-t-il dit. Il y a un système de collusion. Ces entreprises vont préparer les cahiers des charges, plans et devis. Après ça, il faut des entrepreneurs pour faire le travail. Là aussi, il y a des problèmes.

«Les firmes de génie vont contrôler le partage des contrats dans différents endroits et les entrepreneurs vont faire de même à leur niveau, a-t-il ajouté. Souvent, on va remarquer une promiscuité entre les ingénieurs et les entrepreneurs.»

Le capitaine Martin a aussi évoqué le rôle des firmes de génie et des entreprises en travaux publics dans le financement occulte des partis politiques. «Pour faire avancer des projets de construction, ou pour qu'ils soient autorisés, elles ont besoin de financer des partis politiques, a-t-il dit. Elles vont demander à des collaborateurs ou à des employés de commettre des fraudes par supercherie, mensonge ou autres moyens. Elles vont fabriquer de fausses factures ou facturer des services jamais réalisés.»

Les sept personnes arrêtées jeudi ont été interrogées dans les quartiers généraux de la SQ à Montréal et à Québec et ont été libérées contre promesse de comparaître et autres conditions. La date de leur comparution au palais de justice de Saint-Jérôme n'est pas fixée Des rumeurs au sujet de ces arrestations circulaient depuis plusieurs semaines. La pression était forte sur Me Louis Dionne, directeur des poursuites criminelles et pénales, qui centralise tous ces dossiers. Sous le couvert de l'anonymat, des policiers l'accusaient d'immobilisme. Lorsque La Presse a demandé au capitaine Martin si Me Dionne avait autorisé l'opération de jeudi, il a mis brusquement fin à l'entretien.

Photo: Robert Mailloux, Archives La Presse

L'ex-mairesse de Boisbriand, Sylvie Saint-Jean, a été arrêtée par les policiers de l'opération Marteau.