Nicolas Sarkozy avait déjà montré son penchant pour le Canada en mai dernier. Hier, le président français en a rajouté et a fait un plaidoyer clair en faveur d'un Canada uni: le monde a-t-il besoin d'une division supplémentaire? a-t-il demandé. Les souverainistes québécois, embarrassés, ont évité de monter au créneau en ce Sommet de la francophonie, que M. Sarkozy quittera en pleins travaux.

Le président de la France, Nicolas Sarkozy, est entré de plain-pied dans le débat sur l'avenir du Québec, hier. Il a fait un plaidoyer en faveur d'un Canada uni et affirmé que le monde n'a pas besoin d'une «division supplémentaire».Au cours d'une conférence de presse en compagnie du premier ministre Stephen Harper, Nicolas Sarkozy a exprimé sans ambiguïté sa préférence pour le maintien de l'unité canadienne.

«J'ai toujours été un ami du Canada. Parce que le Canada a toujours été un allié de la France, qu'il est membre du G8. Et franchement, s'il y a quelqu'un qui vient me dire que le monde a besoin aujourd'hui d'une division supplémentaire, c'est qu'on n'a pas la même lecture du monde», a-t-il affirmé à la clôture du sommet Canada-Union européenne, la première activité de sa visite à Québec.

Selon le président, «par son fédéralisme», le Canada «envoie un message de respect de la diversité et d'ouverture».

Les députés péquistes, visiblement embarrassés, ont réagi avec prudence. Ils se sont contentés de saluer le discours plus nuancé tenu par le président Sarkozy à l'Assemblée nationale. Jean-François Lisée, éminence grise de plusieurs chefs du PQ, a toutefois qualifié la déclaration du président français de «faux pas».

Stephen Harper, lui, l'a approuvée: «Le président Sarkozy a dit clairement la vérité: que le Canada et la France sont des alliés, des partenaires, des amis. C'est une reconnaissance claire de notre relation au niveau plus pragmatique».

Nicolas Sarkozy dit avoir «suivi de très près» l'actualité politique du Québec et du Canada au cours des dernières années. Il croit que plusieurs partagent son point de vue. «Je sais parfaitement qu'au Québec il y a des francophones qui font partie de notre famille. Mais les francophones de ma famille ne me demandent pas de ne pas considérer le Canada, grand continent en vérité, comme un ami.»

«Je ne vois pas au nom de quoi une preuve d'amour pour le Québec, fraternelle et familiale, devrait se nourrir d'une preuve de défiance à l'endroit du Canada», a-t-il ajouté. La France veut «rassembler» et «apaiser», et non encourager la division.

Visiter d'autres provinces

Nicolas Sarkozy a également promis de visiter d'autres provinces canadiennes, ce qui démontre que le Québec ne sera pas son seul centre d'intérêt. «Je serai très heureux de revenir l'année prochaine dans un autre contexte pour visiter une autre partie du Canada, pour être sûr que tout le Canada voit en toute la France un ami, un partenaire, un allié loyal», a-t-il dit.

Nicolas Sarkozy voit le Canada comme un «facteur de stabilité et de paix». «Le monde en a besoin. Le monde n'a pas besoin de division. Il a besoin d'unité», a-t-il précisé.

Quelques heures plus tard, au salon bleu de l'Assemblée nationale, bondé pour l'occasion, Nicolas Sarkozy s'est fait plus nuancé sur les relations Paris-Québec-Ottawa. La France entretient une relation d'«amitié» avec le Canada et de «fraternité» avec le Québec. Il a toutefois souligné que «l'alliance» entre le Québec et la France «ne peut être que féconde à une condition, c'est qu'on la tourne vers l'avenir, cette alliance, et pas vers le passé».

«Ce que la France sait au fond d'elle-même, c'est qu'au sein du grand peuple canadien il y a la nation québécoise, avec laquelle elle entretient une relation d'affection comme il en existe entre les membres d'une même famille. Et si j'avais à résumer mon sentiment le plus profond, qui est celui de beaucoup de Français, je dirais que les Canadiens sont nos amis et les Québécois, notre famille.»

Nicolas Sarkozy est le premier président français à prendre la parole à l'Assemblée nationale. Plusieurs personnalités étaient présentes: les anciens premiers ministres québécois Bernard Landry, Lucien Bouchard et Pierre Marc Johnson, les anciens premiers ministres français Jean-Pierre Raffarin et Alain Juppé, le maire de Québec, Régie Labeaume, le président du comité exécutif de Power Corporation, Paul Desmarais, l'ancien chef du PQ André Boisclair.

Crise financière

Nicolas Sarkozy a dit «admirer» le Québec, qui «défend sa langue et son identité» tout en refusant «le repliement sur soi». Au moment où une crise financière secoue la planète, le président français a invité le Québec à «refonder» avec lui «un capitalisme plus respectueux de l'homme». «Je vous appelle à en finir avec un capitalisme financier obsédé par la recherche effrénée du profit à court terme, un capitalisme assis sur la spéculation et sur la rente. Il faut réintroduire dans l'économie une éthique, des principes de justice, une responsabilité morale et sociale.»

Selon lui, «la plus grande erreur que ferait le monde face à la crise que nous connaissons serait de ne voir, dans cette crise, qu'une parenthèse et croire qu'une fois les marchés calmés et les banques sauvées, tout pourra recommencer comme avant. Eh bien, cela, la France ne l'acceptera pas, parce que ce serait parfaitement irresponsable».

Il faut «réguler» et «moraliser» le capitalisme, sans quoi «le chacun-pour-soi, les égoïstes, les fanatismes, la logique d'affrontement prévaudront, et alors ce monde sera peut-être pire que celui que nous avons connu».

Nicolas Sarkozy, qui se dit «ami des États-Unis», croit que les Américains «doivent comprendre qu'ils ont des partenaires, qu'ils ne sont pas seuls dans le monde, (...) parce que nous avons besoin de tout le monde pour garantir la paix et la prospérité au XXIe siècle».

«Il ne s'agit pas de désigner un responsable (à la crise actuelle), il s'agit simplement que demain les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets», a-t-il précisé.

Nicolas Sarkozy a également fait un clin d'oeil aux reportages publiés ici sur sa courte visite au Québec et sur la position qu'il adoptera sur les relations Paris-Québec-Ottawa. «J'aime votre art de vivre, votre simplicité, votre franchise, qui se traduit si bien dans votre presse... Bon, ça, ce n'était pas dans le discours», a-t-il lancé, soulevant l'hilarité des députés. «J'ai lu: Dans le fond, il va être aligné avec le Canada, est-ce qu'il sera capable d'aimer le Québec? Ah! quelle question!»

«Visite éclair»

Lors de sa conférence de presse avec Stephen Harper, Nicolas Sarkozy a d'ailleurs été piqué au vif lorsqu'un journaliste l'a questionné sur sa «visite éclair», d'une durée de 26 heures.

«Ne le prenez pas mal, mais dans visite éclair, il y a d'abord visite», a-t-il lancé. M. Sarkozy a rappelé qu'il préside l'Union européenne et qu'il doit en assurer l'unité en pleine crise financière. «Vous l'observez comme une petite crise à gérer, hein? Il y a plus d'États membres de l'Union que de provinces dans ce pays fédéral, le Canada... Je crois important qu'on ait voulu maintenir la visite» malgré la crise. Plusieurs de ses conseillers lui recommandaient de ne pas quitter l'Europe. «J'ai dit: non, non, non, c'est trop important, on a besoin du Canada.» Selon lui, la qualité d'une visite ne se mesure pas à sa durée.

M. Sarkozy quittera Québec aujourd'hui pour se rendre à Camp David, au Maryland, rencontrer le président américain George W. Bush. Il ratera la majeure partie du Sommet de la francophonie, qui prend fin demain.

À l'Assemblée nationale, le premier ministre du Québec, Jean Charest, a affirmé que les Français et les Québécois sont «unis par le temps, par le coeur et par le sang». La relation Québec-France est «directe, privilégiée et unique», a-t-il noté. M. Charest a présenté M. Sarkozy comme «un homme d'action, un réformateur persévérant et courageux, un homme d'État» qui a un grand leadership.

Vive l'amitié entre le Canada et la France! Et vive la fraternité entre le peuple français et le peuple québécois ! Nicolas Sarkozy

Je ne vois pas au nomde quoi une preuve d'amour pour le Québec, fraternelle et familiale, devrait se nourrir d'une preuve de défiance à l'endroit du Canada. Nicolas Sarkozy