Le chef du gouvernement canadien, Stephen Harper, a mis trop de temps à se rendre en visite officielle en Chine, et le premier ministre chinois ne s'est pas gêné pour le lui reprocher, devant la presse canadienne, chinoise et internationale.

La dernière visite officielle d'un premier ministre canadien remonte en effet à janvier 2005, celle du libéral Paul Martin, prédécesseur de M. Harper.M. Harper avait tenu en 2006 des propos durs à l'endroit du bilan chinois en matière de droits de la personne, et avait préféré envoyer son ministre des Affaires étrangères le représenter à la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques en 2008. Les deux incidents avaient créé un froid diplomatique.

Le critique libéral aux affaires étrangères, Bob Rae, a soutenu jeudi que M. Harper n'a que lui-même à blâmer pour cette réprimande publique de la part du président chinois Hu Jintao et du premier ministre chinois Wen Jiabao.

L'indifférence du gouvernement Harper envers la Chine au cours des quatre dernières années a nui aux intérêts du Canada, selon M. Rae.

«Il a été mis en garde en privé et en public. Il a été averti par les gens d'affaires, par les fonctionnaires des Affaires étrangères qu'il fallait soigner nos relations avec la Chine», a affirmé M. Rae.

Or, si le premier ministre canadien tente maintenant de payer les pots cassés, les médias locaux n'ont pas manqué de rapporter que M. Harper a été le dernier leader du G8 à se rendre en Chine.

«Cinq ans, c'est trop long pour les relations Chine-Canada, et c'est pourquoi il y a des commentaires dans les médias qui disent que cette visite aurait dû se dérouler plus tôt», a lancé le premier ministre chinois Wen Jiabao, avant sa rencontre avec son homologue canadien, dans une rebuffade diplomatique hors du commun pour des leaders internationaux.

Impassible, M. Harper a acquiescé aux propos du premier ministre Wen, mais a ensuite répliqué à son interlocuteur que la dernière visite de dirigeants chinois au Canada remontait aussi à cinq ans.

Selon M. Rae, le premier ministre Harper aurait dû tourner sa langue sept fois avant de prononcer cette réplique. «C'est ridicule. Il a eu l'air encore plus étourdi», a dit M. Rae.

«Il faut bien comprendre que la Chine est un pays qui met beaucoup l'accent sur la diplomatie et les relations formelles. C'est très inhabituel d'adopter un tel ton au début d'une visite officielle. Tout cela s'explique par la décision sans précédent de M. Harper de ne pas se rendre en Chine et sa négligence des intérêts canadiens d'avoir de bonnes relations avec la Chine», a-t-il ajouté.

M. Rae a souligné que tous les premiers ministres du Canada, de John Diefenbaker à Paul Martin, ont accordé beaucoup d'importance aux relations canado-chinoises et que l'indifférence de M. Harper envers la Chine a contribué à refroidir les relations entre les deux pays.

Mais le ministre de l'Immigration, Jason Kenney, a balayé d'un revers de main les critiques des libéraux. Il a soutenu que la première visite officielle en Chine de M. Harper en cinq ans a déjà donné beaucoup de résultats.

«Les choses importantes sont les résultats. On a vu les dizaines de visites de premiers ministres libéraux qui n'ont rien accompli pour les Canadiens. Dès sa première visite, notre premier ministre a obtenu un accord pour le tourisme. Il a obtenu davantage d'accès au marché chinois pour nos produits agricoles et également l'annonce importante d'une ouverture d'un consulat de la Chine à Montréal et davantage. (...) Donc, d'après moi, quand on voit les faits, c'est un grand succès jusqu'à maintenant», a-t-il affirmé.

«Grande importance» de cette première visite

Plus tôt, le président chinois Hu Jintao, en marge d'une rencontre avec M. Harper, avait souligné «la grande importance» de cette première visite.

«Je suis certain que cette visite nous aidera, des deux côtés, à approfondir notre compréhension mutuelle, à élargir notre coopération, et à amener cette relation cordiale à un autre niveau», a dit le président chinois.

En point de presse avec les journalistes canadiens, le premier ministre s'est défendu d'avoir eu à essuyer les critiques de ses hôtes chinois.

«Je pense aussi que des visites plus régulières seront une bonne chose pour les deux pays», s'est-il contenté de souligner.

«Les deux parties se sont entendues sur l'importance de faire des échanges fréquents, y compris les dirigeants, pour promouvoir le développement de la relation Chine-Canada», ont indiqué les deux gouvernements dans une déclaration commune à l'issue des rencontres bilatérales.

M. Harper a tenu à souligner qu'il n'avait pas manqué d'aborder la question des droits de la personne avec ses homologues chinois, notamment la situation au Tibet.

«On discute de ces choses d'une façon franche, mais en même temps d'une façon qui respecte l'intégrité et la souveraineté de la Chine», a dit le premier ministre.

Le libellé de la déclaration commune, sur la question des droits de la personne, adopte toutefois un vocabulaire plus alambiqué. «Les deux parties ont reconnu que l'histoire et les conditions différentes des deux pays peuvent contribuer à quelques opinions distinctes sur des enjeux comme les droits de la personne», stipule le document.

En après-midi, M. Harper avait eu droit aux honneurs d'une cérémonie de bienvenue toute protocolaire, ficelée à la perfection. Au son des hymnes nationaux joués par un orchestre militaire, les premiers ministres chinois et canadiens ont salué 144 soldats au garde-à-vous, en rangs parfaitement symétriques, et tous de la même taille.

Dans une précision toute chinoise, la cérémonie au palais de l'Assemblée du peuple a duré un total de quatre minutes, et les employés étaient déjà à l'oeuvre pour rouler les tapis rouges dès l'instant où les diplomates ont passé la porte.