Il n'y a pas que Québec, les juges ou les procureurs de la Couronne qui se font montrer du doigt à la suite de l'avortement du procès de 31 membres ou sympathisants des Hells Angels, mardi: Ottawa aussi.

Selon certains, en effet, le gouvernement Harper a trop tardé à présenter une réforme des règles de procédure criminelle, qui aurait pu atténuer les risques que cette situation se produise.

«S'ils avaient été adoptés, ces changements auraient pu faire avancer ces procès plus rapidement, croit Joe Comartin, le critique néo-démocrate en matière de justice. Mais la procédure criminelle n'est pas vraiment un bon moyen de faire de la politique: on ne peut pas faire de séance de photos avec les victimes.»

Le projet de loi C-53, intitulé la Loi sur les procès criminels équitables et efficaces, est mort au feuilleton en mars, avec la chute du gouvernement de Stephen Harper. Il prévoyait des mesures visant une meilleure gestion des superprocès, notamment la nomination de juges responsables d'en assurer le bon fonctionnement.

«Compte tenu de l'ampleur et de la complexité de la preuve, des nombreuses inculpations contre plusieurs accusés et de la nécessité de faire entendre plusieurs témoins, les mégaprocès peuvent exiger beaucoup de temps des tribunaux et engendrer des délais excessifs, ce qui augmente le risque d'annulation», disait le communiqué de presse qui annonçait ces changements.

Or, le projet de loi n'a été présenté à la Chambre des communes qu'en novembre dernier, deux ans après un rapport d'experts en Ontario qui recommandait justement certaines des solutions qu'il mettait de l'avant. «Et ces idées-là n'étaient pas nouvelles», note Joe Comartin.

Délais déraisonnables

Les 31 prévenus libérés hier avaient été arrêtés en avril 2009. Le juge James Brunton, de la Cour supérieure, s'est rendu à leurs arguments, selon lesquels la complexité des procès et l'ampleur de la preuve étaient susceptibles d'engendrer des délais déraisonnables, et a ordonné l'arrêt du processus judiciaire.

Avocat réputé, Jean-Claude Hébert abonde dans le sens du député du NPD: selon lui, si elles avaient été en vigueur, les règles proposées par Ottawa auraient pu empêcher qu'on en arrive là.

«Je peux comprendre que, en situation minoritaire, un gouvernement souhaite proposer des mesures qui lui permettront de gagner des votes, a-t-il lancé. Mais là, le gouvernement n'a plus d'excuses: il est majoritaire. J'espère qu'il va cesser de faire des intrusions dans le Code criminel et plutôt passer le tout en revue - quels sont nos besoins ? quelles sont nos priorités? - et mener la révision de manière rationnelle et ordonnée, plutôt que de faire des réformes à la pièce.»

En campagne électorale, le Parti conservateur a promis d'intégrer dans un projet de loi omnibus les mesures proposées dans le projet de loi C-53 et de faire adopter le tout par le Parlement dans un délai de 100 jours. Depuis son élection, cependant, le gouvernement Harper n'a encore donné aucun détail à cet égard.