Voici le troisième volet des entrevues qu'a accordées Jean Pelletier au chroniqueur du Soleil Gilbert Lavoie quelques mois avant son décès. Des entretiens sont également disponibles sur cyberpresse.ca/le-soleil. Pour l'homme politique, un grand nuage est venu assombrir les dernières années de sa carrière : l'affaire des commandites. Il en parle encore avec amertume.

Jean Pelletier: Le programme des commandites, dans notre pensée, n'a jamais existé comme tel. Au début de février 1996, à la suite du rapport d'un comité présidé par Marcel Massé, le cabinet avait décidé de faire une foule de choses, dont augmenter la visibilité fédérale. C'était un programme politique, mais ce n'était pas un programme partisan. C'est le Canada qu'on vendait, ce n'était pas le Parti libéral.

Le scandale, et scandale il y a, ce n'est pas le programme lui-même, c'est que, dans l'administration financière, il y a des gens qui ont bénéficié de conditions indues de contrats et qui ont surfacturé. Mais ça, très franchement, ça ne regarde pas du tout le bureau du premier ministre.

Dans son rapport, Gomery part en disant : «À la demande du premier ministre, son chef de cabinet dirigeait le programme.» Je n'ai jamais dirigé le programme. Dans le livre de François Perreault, le directeur des communications de la commission, Perreault dit qu'un mois après la comparution de Chrétien, il a demandé au juge Gomery si la comparution de l'ancien premier ministre avait été capitale. Gomery a dit : «Oui. Une fois qu'il eût témoigné, je savais qui étaient les responsables.»

Alors, je me suis dit : «Il faut que je relise le verbatim de Chrétien.» Je l'ai fait venir d'Ottawa. Gomery n'a jamais demandé à Chrétien : «Est-ce que votre directeur de cabinet dirigeait le programme?» Ce qu'il a demandé à Chrétien, c'est: «Qui, à votre bureau, était responsable du dossier de l'unité nationale?»

Et Chrétien a dit : «C'est Jean Pelletier.» De là il a conclu que je dirigeais le programme des commandites. Il n'avait rien sur quoi s'appuyer pour dire cela.

Gomery n'a rien compris du fonctionnement du gouvernement quand il a attribué des pouvoirs administratifs aux employés politiques des ministres et du premier ministre à l'égard de programmes de dépenses du gouvernement. On n'a aucun pouvoir. Alors, il m'a accusé de ne pas avoir mis en place des mécanismes de contrôle. Ce n'était pas à moi de mettre des mécanismes de contrôle, c'était au ministère ou au Conseil du Trésor.

Ce qui s'est passé dans les commandites, c'est horrible. Il y a des gens d'agences qui ont volé le gouvernement, avec la complicité d'un haut fonctionnaire fédéral, Guité.

Q Gagliano a-t-il payé pour les autres, là-dedans?

R Mon sentiment profond à moi? Gagliano n'a rien fait de croche et n'a rien autorisé de croche. Il a été utilisé par d'autres. Son péché, c'est la naïveté. Moi, je n'ai aucune raison d'avoir un dixième d'un pour cent de soupçon sur Gagliano, et je répéterais ça publiquement n'importe quand.

Q J'imagine que cette période a été très dure sur le plan personnel...



R Écoutez, je me faisais insulter sur le trottoir à Québec. Quand tu as été maire de la ville et que tu reviens après avoir servi pendant 10 ans à Ottawa et que tu n'as absolument rien à te reprocher... Le bien le plus important, c'est son intégrité. Pour un homme public, c'est sa réputation. J'étais par terre. Je revenais à Québec, je me faisais engueuler dans les quincailleries, les magasins.

Q Il y a des gens qui vous interpellaient dans la rue?

R Je m'en vais chez Costco une journée. J'arrive à la caisse, et il y a un gros gars qui m'apostrophe devant le public: «Qu'est-ce que vous faites là, vous? Vous vous promenez en public? Mais vous devriez avoir honte de vous promener en public... Voleur!»

Ç'a été très dur pour ma femme. Les gens changeaient de trottoir pour ne pas nous parler, des soi-disant amis nous ont laissés de côté. Quand j'ai commencé à gagner mes poursuites contre VIA Rail dans l'affaire de Myriam Bédard, là les gens ont dit: «Coudonc, il est peut-être pas si coupable que ça, c'est peut-être lui qui avait raison.» Là, ça a commencé à changer. Mais ce qui est sorti dans la presse, c'est le blâme.

Q Les démêlés judiciaires qui ont suivi les commandites et votre congédiement de VIA Rail ont-ils coûté cher?

R Ça va m'avoir coûté, de ma poche, après impôts, près de ou un peu plus de 500 000$. J'ai réussi à travailler, puis à payer mes comptes, mais les 500 000$, j'ai trouvé ça très lourd... Ce qui m'arrive à moi, cela arrive à beaucoup d'autres personnes. Et pour moi, c'est un frein à l'accès à la justice parce qu'il y a des gens qui vont être maltraités et qui n'oseront pas attaquer en cour la décision qu'ils prétendent erronées à leur égard.

J'ai causé de cela avec le bâtonnier général du Québec, Gérald Tremblay, qui est préoccupé par cela lui aussi. À la suite de ma conversation, je suis allé voir le ministre de la Justice du Québec, M. Jacques Dupuis, qui s'est dit réceptif à un amendement du Code de procédure civile à cet égard. Un comité du Barreau va prochainement lui faire des recommandations concernant cela. Moi, je n'en profiterai pas.

Puis il y a un abus de délais par les avocats, ça aussi ça n'a aucun bon sens. Mes procédures ont été prises à la fin de mars 2004. Ça fait presque cinq ans, et ce n'est pas fini, alors que dans le fond, c'était une question de réputation. Ça veut dire que pendant quatre ans, j'ai été obligé d'endurer les conséquences, puis