Un mois après que Québec eut donné son appui à la relance de la mine Jeffrey, à Asbestos, de nouvelles photos embarrassantes pour l'industrie québécoise de l'amiante font surface.

Le 8 octobre 2010, La Presse a publié la photo d'un enfant qui fouillait à mains nues dans une décharge de l'usine Djabesmen, plus important fabricant de toitures d'amiante d'Indonésie. Derrière lui, des adultes récupéraient les déchets de l'usine dans des sacs vides frappés du logo de Lab Chrysotile, une mine située à Thetford Mines, au Québec.

Sept mois plus tard, l'usine a rasé le dépotoir, mais des morceaux d'amiante-ciment jonchent toujours le sol. Et les gens qui fouillent les rebuts pour survivre utilisent toujours des sacs de Lab Chrysotile.

«Les gens toussent»

Le 2 mai, le militant anti-amiante indonésien Muchamad Darisman a revisité le site en compagnie de Marc Thibault, biologiste québécois qui habite la capitale, Jakarta.

Pour accéder au dépotoir, ils ont dû passer par une cour d'école située à 25 m de l'usine. Le toit de l'école était construit en amiante-ciment, tout comme la moitié des toitures des maisons du quartier.

«Le dépotoir, auparavant rempli de déchets dangereux, a été rasé», dit M. Darisman. Mais le sol est encore couvert de morceaux d'amiante-ciment. «Dans le dépotoir, la première chose qu'on entend, c'est les gens qui toussent. C'est frappant», dit M. Thibault.

En parcourant la décharge, les deux hommes ont rencontré un couple qui s'abritait sous des panneaux ondulés d'amiante-ciment.

Le couple vendait des morceaux d'amiante aux pauvres du quartier, qui s'en servent pour rafistoler leur bicoque. Quelques sacs d'amiante jetés dans la décharge portaient la mention «Produit de Lab Chrysotile, Thetford Mines, Québec, Canada».

Pour M. Thibault, c'est bien la preuve que «l'argument de la responsabilité des compagnies importatrices d'amiante québécois et du contrôle en aval ne tient pas la route».

Le gouvernement du Québec justifie l'exportation de l'amiante dans les pays du tiers-monde en assurant qu'il est possible de l'utiliser de façon sécuritaire. C'est sur la base de cet argument - contesté - que Québec a consenti à garantir un prêt de 58 millions pour sauver la mine Jeffrey d'Asbestos.

Mais pour les militants, les photos de l'usine Djabesmen montrent que, en pratique, il est impossible de mettre en oeuvre des règles censées rendre l'amiante inoffensif pour la santé humaine.

L'amiante chrysotile, produit cancérigène, est interdit dans la plupart des pays occidentaux. Le Canada, qui ne l'utilise pas dans ses propres constructions, encourage son exportation dans les pays en voie de développement, ce que de nombreux professionnels de la santé, au Québec et ailleurs dans le monde, jugent immoral.

Réaction de Lab Chrysotile

Appelé à commenter ces nouvelles photos, le président de Lab Chrysotile, Simon Dupéré, soupçonne qu'il s'agit d'un «coup monté» des groupes antiamiante pour faire pression sur le gouvernement et empêcher l'exploitation du minerai québécois.

«Le processus de fabrication normal inclut le déchiquetage des sacs pour les inclure dans le produit fini, ce qui augmente la quantité de fibres du produit sans changer le coût, explique M. Dupéré. La logique économique veut donc que les sacs soient déchiquetés.»

Quoi qu'il en soit, les choses ont changé depuis la publication des premières photos, en octobre. M. Darisman admet que les sacs d'amiante ne sont plus jetés négligemment et que les morceaux de toiture d'amiante sont détruits avant d'être jetés au dépotoir.

Résultat, les gens qui fouillaient la décharge pour revendre l'amiante-ciment ont perdu une bonne partie de leur gagne-pain. M. Darisman, auteur des photos, a senti de «l'irritation» envers lui lors de sa seconde visite. «Je peux comprendre, c'est à cause de moi que leur revenu a été réduit.»

L'Indonésie importe 78 000 tonnes de chrysotile par an, en majeure partie de la Russie, du Brésil et du Canada.

En 2006, l'industrie avait subventionné un «Symposium scientifique international» à Jakarta, où tous les experts invités avaient présenté l'amiante comme un minerai inoffensif. Le symposium s'était conclu par un cocktail à l'ambassade du Canada.

«Apparemment, pour nos hommes politiques et nos hommes d'affaires, la vie d'un Canadien vaut plus cher que celle d'un Indonésien», conclut M. Thibault.