Mellissa Fung, journaliste pour le réseau CBC, a été enlevée le 12 octobre alors qu'elle faisait des entrevues avec des réfugiés dans un camp en périphérie de Kaboul. Cet endroit n'était pas considéré comme très dangereux et elle n'était donc pas accompagnée par un garde armé.

Le kidnapping a été gardé secret pendant toute la durée de sa captivité. CBC avait demandé aux médias de ne pas divulguer cette information pour ne pas compromettre la sécurité de la journaliste.Pour un organe de presse, refuser de rapporter une information est «la plus difficile et la moins naturelle des décisions», a reconnu hier John Cruickshank, directeur du service des nouvelles de CBC. Mais selon lui, «la sécurité d'une victime doit primer sur l'instinct de transparence».

Âgée de 36 ans, Mellissa Fung en était à son deuxième reportage en Afghanistan. Le jour de l'enlèvement, des hommes armés se sont approchés d'elle à 15 h 30, heure locale. On croit qu'ils l'ont emmenée dans des zones montagneuses à l'ouest de Kaboul.

C'est son interprète afghan, prénommé Shakoor, qui a joint les autorités immédiatement après le kidnapping. Cet interprète, ainsi que son frère qui servait de chauffeur à la CBC, ont été arrêtés par les autorités afghanes peu après le kidnapping. La télévision d'État s'est dite inquiète pour leur sort. Elle n'a pas voulu préciser si cela indique qu'ils sont soupçonnés d'avoir été impliqués dans le kidnapping.

L'industrie du kidnapping

Des centaines de personnes ont contribué à la libération de Mellissa Fung, autant au Canada qu'en Afghanistan, a indiqué M. Cruickshank, qui a cité les ministères de la Défense et des Affaires étrangères, le bureau du premier ministre et la GRC, ainsi que le gouvernement afghan.

Les kidnappings sont devenus si fréquents en Afghanistan que des firmes de sécurité privées s'y spécialisent dans la libération d'otages. La CBC a fait appel à deux d'entre elles, dont l'une aurait 500 interventions à son actif dans des cas de kidnapping.

Les journalistes ne sont pas les seules victimes des ravisseurs, qui s'attaquent aussi à des gens d'affaires et à des travailleurs humanitaires, afghans et étrangers. Une journaliste néerlandaise a d'ailleurs été libérée vendredi après avoir passé six jours en captivité. Un travailleur humanitaire français, Dany Egreteau, a été l'un des derniers cas de kidnappings récents à avoir été rapportés par les médias. Mais de nombreux enlèvements restent secrets.

L'industrie du kidnapping est en fait si florissante qu'elle constitue, selon le magazine Newsweek, la deuxième source de financement des talibans.

Questions sans réponse

Dans le cas de Mellissa Fung, les firmes ont mis plusieurs jours avant de pouvoir entrer en contact avec les ravisseurs. La journaliste a été relâchée après 10 jours d'intenses négociations, et tant le gouvernement canadien que la télévision d'État assurent n'avoir versé aucune rançon pour obtenir sa libération.

M. Cruickshank et le premier ministre Stephen Harper, qui ont tenu des points de presse séparés hier après-midi, assurent qu'il n'est pas dans leur politique d'accepter de verser de l'argent en échange de la libération de prisonniers.

Le premier ministre, qui a appris la nouvelle du kidnapping en pleine campagne électorale, a félicité hier la journaliste pour le courage dont elle a fait preuve pendant ces jours difficiles. Il a également assuré que le gouvernement afghan a pleinement collaboré à la libération de la journaliste.

Beaucoup de questions restent pour le moment sans réponse. Quelles promesses a-t-on faites aux ravisseurs pour obtenir la libération de Mme Fung ? Une rançon a-t-elle été versée par le gouvernement afghan ? Mais surtout, qui étaient au juste ses ravisseurs ? Les conditions de sécurité se sont abruptement détériorées en Afghanistan, qui est devenu le terrain d'affrontements entre divers groupes d'insurgés, mais aussi des gangs criminels. Lequel de ces groupes s'en est pris à la reporter ? Tant la CBC que le premier ministre Stephen Harper ont refusé de répondre à cette question hier. M. Cruickshank a dit que d'autres journalistes sont actuellement détenus par des ravisseurs et qu'en donnant plus de détails, il risquerait de compromettre leur sécurité.

Hier, Mellissa Fung se trouvait à l'ambassade du Canada de Kaboul, d'où elle a pu s'entretenir avec Stephen Harper, John Cruickshank et ses parents à Vancouver. Tous ont dit qu'elle était étonnamment en forme, vu les circonstances. Elle s'est dite désolée pour les ennuis que son enlèvement a causés à ses proches. Mme Fung doit subir des examens médicaux et devrait s'envoler bientôt pour le Canada.

John Cruickshank a assuré que Mellissa Fung avait suivi tous les cours de préparation au reportage dans des zones de guerre. Il a toutefois affirmé qu'à la suite de son enlèvement, la CBC réviserait cette formation. Pas question, cependant, de cesser de couvrir l'Afghanistan : «Aucune menace ou intimidation ne nous détournera de cette responsabilité», a-t-il assuré.

Dans une entrevue qu'ils ont accordée hier à la CBC, les parents de Mellissa Fung se disent convaincus que leur fille ne se laissera pas intimider elle non plus. «Elle continuera à pratiquer le même genre de journalisme, c'est le travail qu'elle veut faire», a dit sa mère, Joyce Fung, qui vit à Vancouver.