Au lendemain du témoignage-choc du diplomate Richard Colvin, qui accuse Ottawa d'avoir été complice de la torture de prisonniers en Afghanistan, les esprits se sont échauffés à la Chambre de communes.

Pendant que l'opposition, menée par le NPD de Jack Layton, réclamait à grands cris une enquête publique, le gouvernement a assuré avoir respecté toutes les conventions internationales, tout en tentant de discréditer la version de l'ancien chargé d'affaires à Kandahar.Le ministre de la Défense, Peter MacKay, a rapidement rejeté d'un revers de main la demande d'une enquête publique, n'y voyant ni l'intérêt ni la nécessité.

«Les preuves (avancées par M. Colvin) ne sont pas crédibles, a dit M. MacKay. C'était des informations de seconde ou de troisième main. Ça venait de rapports ou de talibans qui ont été entraînés à mentir s'ils étaient capturés. Ce sont des ouï-dire.»

La veille, en comité parlementaire spécial sur la mission en Afghanistan, le diplomate de carrière avait non seulement affirmé avoir alerté à plusieurs reprises les hauts responsables canadiens que les prisonniers transférés aux autorités afghanes seraient très probablement torturés, mais aussi que plusieurs d'entre eux étaient innocents, et que le gouvernement avait même tenté de camoufler l'histoire et de l'empêcher de parler.

Attaqué sans relâche par l'opposition, le ministre MacKay s'est contredit en affirmant d'abord que les allégations faites par M. Colvin étaient sans fondement, pour ensuite concéder que le gouvernement avait agi et modifié son entente de transfert des prisonniers, en 2007, sur la base des informations transmises par le diplomate.

Outrée, l'opposition a réclamé que toute la lumière soit faite sur qui était au courant, au sein du gouvernement, des allégations de torture dans les prisons afghanes où étaient transférés les prisonniers capturés par les soldats canadiens.

«C'est la réputation internationale du Canada qui est en jeu. Ce sont de sérieuses questions de politique publique et la crédibilité du gouvernement va dépendre de sa capacité à faire la lumière sur la situation», a lancé le député néo-démocrate Jack Harris, en conférence de presse, réclamant ainsi une enquête publique.

«Il y a un problème majeur de transparence», a renchéri le député du NPD Paul Dewar, rappelant que M. Colvin a dénoncé ce qu'il considérait être «une culture du silence».

À la période de questions, libéraux et bloquistes ont emboîté le pas, estimant qu'une enquête publique serait le seul moyen de vraiment connaître la vérité.

«Au lieu de s'attaquer au problème, le gouvernement est en train d'attaquer M. Colvin. C'est répréhensible de la part du gouvernement, a jugé le critique libéral en matière d'affaires étrangères, Bob Rae. Le témoignage de M. Colvin était très clair. Il avait de l'information importante sur les mauvais traitements infligés aux détenus et le gouvernement lui a dit de se taire.»

Le chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe, a pour sa part estimé que si les membres du gouvernement refusent la tenue d'une enquête publique, «c'est qu'ils ont peur de la vérité».

«M. MacKay réfléchit comme un taliban, à savoir qu'il nous dit: «Vous êtes avec moi ou contre moi», a dit M. Duceppe. Je trouve que c'est de l'arrogance, du mépris de la vérité, mépris de cette Chambre, mépris de la population et de l'incohérence totale.» Le chef bloquiste a rappelé qu'un simple soupçon de torture est suffisant pour contrevenir à la convention de Genève sur le traitement des prisonniers. De passage en Afghanistan pour l'investiture du président Hamid Karzaï, le ministre des Affaires étrangères, Lawrence Cannon, a souligné que le Canada prenait très au sérieux ses responsabilités quant au transfert de prisonniers et que le respect de l'État de droit était «un aspect essentiel des opérations des Forces canadiennes».

Par ailleurs, l'ancien ministre de la Défense, Gordon O'Connor, a affirmé à la sortie des Communes n'avoir jamais eu connaissance des rapports écrits par M. Colvin.