Il est «grotesque» de suggérer que le Canada a été complice de la torture systématique de prisonniers en Afghanistan, pendant que les autorités militaires fermaient les yeux, a affirmé mercredi le général à la retraite Rick Hillier, ancien chef d'état-major des Forces armées canadiennes.

Dans un témoignage fort attendu au comité parlementaire spécial sur l'Afghanistan, des généraux militaires sont venus défendre leur rôle et celui des soldats canadiens dans le transfert de prisonniers aux autorités afghanes, une semaine après le témoignage explosif du diplomate Richard Colvin. Ce dernier a affirmé avoir avisé le gouvernement, dès 2006, que les détenus transférés étaient torturés. M. Colvin a accusé Ottawa de n'avoir rien fait pour régler la situation pendant 18 mois, et même d'avoir tenté de l'empêcher de parler.

«En voyant les reportages et les commentaires, je me suis demandé si quelque chose d'aussi important m'avait échappé, et si j'avais été négligent dans mon travail, a dit le général Hillier.

En lisant les rapports, je me suis rendu compte que non. Je n'avais pas lu ces rapports. Je n'y avais pas accès sauf si on me les montrait et il n'y avait aucune raison, contenue dans ces rapports, pour qu'on les porte à mon attention.»

Les transferts de prisonniers aux autorités afghanes ont toujours été faits «de façon professionnelle», a-t-il ajouté, et en tout respect des lois internationales. L'affirmation par M. Colvin que tous les prisonniers étaient torturés en Afghanistan est «grotesque» et vient discréditer l'ensemble du témoignage du diplomate, a affirmé M. Hillier.

Le lieutenant-général à la retraite Michel Gauthier, qui était à l'époque à la tête du Commandement de la Force expéditionnaire du Canada, a pour sa part indiqué que les premières allégations sérieuses de torture étaient contenues dans un reportage du Globe and Mail, datant d'avril 2007, soit un an après les premiers rapports de M. Colvin. Les autorités canadiennes auraient aussitôt cessé les transferts de prisonniers, ont indiqué les deux généraux, dans un effort de «rétablir leur crédibilité» après avoir été traités de «criminels de guerre», a souligné M. Gauthier.

Alors que l'opposition continue de réclamer à grands cris une commission d'enquête publique pour faire la lumière sur toute cette histoire, le premier ministre, Stephen Harper, et l'actuel ministre de la Défense, Peter MacKay, ont continué, en Chambre, de discréditer le témoignage de M. Colvin. Le gouvernement clame n'avoir jamais eu vent des allégations de torture - non fondées selon lui - contenues dans les rapports du diplomate.

Or, dans une lettre envoyée au comité mardi par l'entremise de son avocate, M. Colvin affirme avoir envoyé directement certains de ses rapports par courriel au ministre des Affaires étrangères. Le bureau du ministre MacKay (alors aux Affaires étrangères) aurait aussi reçu, par courriel, des signaux d'alarme sur la torture de prisonniers provenant de la Croix-Rouge internationale, chargée du suivi et de la surveillance des détenus, a affirmé mercredi le Toronto Star.

Risque de poursuites

Par ailleurs, M. Colvin ne déposera finalement pas ses rapports au comité, comme il s'était engagé à le faire, craignant de ne pas être à l'abri de poursuites judiciaires.

Une motion a été adoptée demandant que l'ensemble des rapports et mémos liés au témoignage du diplomate soit rendu accessible au comité.

Le gouvernement s'est dit ouvert à la divulgation des documents demandés, mais a toutefois rapidement précisé qu'il ne violerait pas la loi, et donc qu'il ne rendrait pas publiques des informations susceptibles de nuire à la sécurité nationale.

Après une bataille politique au cours de laquelle l'opposition a réclamé de pouvoir consulter les documents controversés avant d'entendre d'autres témoins, le comité a finalement accepté de tenir une séance extraordinaire aujourd'hui, sans les documents, pour faire témoigner l'ancien no 1 du gouvernement en Afghanistan, David Mulroney, revenu d'urgence de Chine, où il est maintenant ambassadeur du Canada à Pékin.