Le ministre de la Défense, Peter MacKay, a reconnu à son tour, vendredi, que le Canada était au courant que la torture était présente dans les prisons afghanes dès 2006.

Mais à l'instar d'un diplomate venu témoigner en comité la veille, il a précisé qu'Ottawa n'avait reçu aucune preuve que des détenus capturés par les Canadiens et transférés aux autorités afghanes avaient eux même été torturés.

Confronté au témoignage du diplomate David Mulroney, l'ancien sous-ministre délégué aux Affaires étrangères à l'époque où M. MacKay était responsable de ce portefeuille, le ministre a adapté son discours suite aux nouvelles révélations faites devant le comité spécial sur l'Afghanistan.

M. Mulroney y a affirmé, jeudi, que les autorités fédérales étaient bien au fait en 2006 de la torture perpétrée dans les prisons afghanes.

Le gouvernement de Stephen Harper avait pourtant plaidé n'avoir reçu aucune preuve crédible de torture avant 2007, année au cours de laquelle le protocole de transfert des prisonniers a été modifié afin d'assurer un meilleur suivi des détenus, une fois qu'ils étaient remis aux autorités afghanes.

Tout au long du printemps 2007, lorsque les premières allégations de torture ont été rapportées dans les médias, les conservateurs avaient vivement nié qu'il y ait un problème.

Le ministre MacKay a toutefois admis, vendredi, que le gouvernement conservateur avait été mis au courant des risques de torture dès son arrivée au pouvoir, soit en 2006.

«Visiblement il y a plusieurs rapports qui circulaient. Il y avait des sources d'information qui ont été acheminées au ministère, incluant (celles de) M. Colvin, qui ont fait état de préoccupations générales quant aux conditions dans les prisons afghanes et des allégations d'abus», a finalement avoué le ministre MacKay, en point de presse à sa sortie des Communes.

Il a simplement fallu «un peu de temps» pour rectifier la situation, a-t-il expliqué.

Or, il s'est écoulé un an et demi entre l'envoi des premiers rapports du diplomate Richard Colvin, qui a été en poste en Afghanistan en 2006-2007, et le moment où Ottawa a modifié son protocole de transfert des prisonniers.

Et alors qu'il discréditait la semaine dernière le témoignage de M. Colvin en comité parlementaire, en affirmant qu'il s'agissait de «ouï-dire» qui «proviennent directement des talibans», le ministre MacKay a affirmé que le gouvernement s'était fié notamment aux informations du diplomate pour modifier son protocole.

Autre changement de discours: les conservateurs arguaient depuis 2007 qu'ils n'avaient jamais eu de preuve de torture. Voilà qu'ils précisent maintenant qu'ils n'ont jamais reçu de preuves que des détenus capturés par les soldats canadiens et transférés aux Afghans ont été maltraités.

«Ce qui est important de souligner, comme l'a fait M. Mulroney, c'est que c'était des allégations générales, et non des allégations qui se rapportaient à des détenus transférés par les Forces canadiennes», a d'entrée de jeu tenu à détailler le ministre MacKay.

Les documents ont été fournis aux témoins

Par ailleurs, si l'opposition réclame depuis plus d'une semaine au gouvernement les rapports de M. Colvin ainsi que des documents du ministère des Affaires étrangères, le ministre MacKay a révélé qu'ils avaient été rendus disponibles pour M. Mulroney ainsi que pour les généraux à la retraite Rick Hillier, l'ancien chef d'état-major de la Défense, et Michel Gauthier, ancien commandant de la Force expéditionnaire du Canada, lors de leur comparution devant le comité.

Car de par leurs fonctions au sein du gouvernement, ils ont tous les trois accès à ces documents secrets. Mais les députés, eux, n'ont pas ce privilège.

Le ministre a fait valoir qu'il s'agissait d'une question de sécurité nationale et que le ministère de la Justice devait s'assurer, avant de transmettre les documents, qu'il ne contiennent pas d'«information sensible» qui pourrait menacer la sécurité du personnel militaire et civil en Afghanistan.

«Je trouve difficile de voir que les généraux, qui sont à la retraite, ont accès aux documents et nous députés, qui avons l'obligation de faire une certaine enquête, on n'a pas accès aux documents. Comment est-ce qu'on peut trouver une réponse aux questions?», s'est impatienté le critique libéral en matière d'affaires étrangères, Bob Rae.

Une violation du droit international

Pour les partis d'opposition, les révélations des derniers jours démontrent que le Canada a contrevenu à la Convention de Genève, en vertu de laquelle il est illégal de transférer des prisonniers lorsqu'il y a risque de torture.

Si la torture existait dans les prisons dès 2006 et qu'il était impossible de retracer nos prisonniers, le gouvernement ne peut donc pas assurer qu'aucun d'entre eux n'a subi de la torture à l'époque, soutiennent-ils.

«Devant ces faits, comment le gouvernement peut-il encore nier que le Canada a violé la Convention de Genève qui interdit de transférer des prisonniers lorsqu'il y a risque de torture?», s'est indigné le leader parlementaire du Bloc québécois Pierre Paquette, lors de la période des questions.