Lorsque le diplomate Richard Colvin a affirmé haut et fort que les détenus transférés aux services secrets afghans étaient torturés, dans une rencontre interministérielle en mars 2007, la réaction de ses interlocuteurs lui a inspiré une seule conclusion: Ottawa n'était pas intéressé à régler un problème déjà connu des autorités.

«Je leur ai dit: la NDS (direction nationale de la sécurité afghane) torturent les gens. C'est ce qu'elle fait. Et si nous ne voulons pas que nos détenus soient torturés, il ne faut pas les transférer à la NDS», a souligné le diplomate, mardi, devant la Commission d'examen des plaintes contre la police militaire (CEPPM).Six heures de témoignage

Dans un long témoignage de six heures, son premier depuis qu'il a mis le feu aux poudres, en novembre 2009, en affirmant en comité parlementaire qu'Ottawa savait que les détenus transférés aux autorités afghanes risquaient d'être torturés, M. Colvin a répété en détail les allégations formulées l'automne dernier.

Lorsqu'il a tiré la sonnette d'alarme, au cours de cette rencontre du mois de mars, après avoir tenté d'alerter les autorités canadiennes dans des rapports précédents en 2006 et en 2007, personne n'a réagi, a-t-il affirmé mardi. La représentante du ministère de la Défense nationale, chargée de prendre des notes, selon lui, aurait même «déposé son crayon».

«Il y a eu un silence. Certaines personnes paraissaient mal à l'aise. À cet instant, c'est devenu clair pour moi que rien n'avait été fait pour résoudre les problèmes concernant les détenus. Les messages envoyés précédemment n'avaient pas eu d'effet», a souligné M. Colvin, résigné.

La réputation de l'ex-gouverneur de la province de Kandahar, Asadullah Khalid, était aussi «bien connue» des autorités canadiennes, a affirmé le diplomate, en réponse aux questions de l'avocat principal de la commission, Ron Lunau.

Selon des documents qu'a obtenus la CBC cette semaine, corroborés par Richard Colvin mardi, les allégations d'abus des droits de la personne par le gouverneur étaient, en 2007, «nombreuses et constantes».

Documents censurés

Alors qu'un comité parlementaire sur la mission en Afghanistan tente, aux Communes, de faire toute la lumière sur les allégations de torture des prisonniers transférés aux autorités afghanes par les soldats canadiens, la CEPPM a pour mandat d'analyser le rôle et la conduite de la police militaire dans le dossier.

Mais pour des raisons de «sécurité nationale», le gouvernement conservateur a fait censurer les documents sur lesquels se base la commission dans son examen.