Le gouvernement Harper et les trois partis de l'opposition semblent être prêts à mettre un peu d'eau dans leur vin afin de trouver un compromis dans le dossier des documents secrets concernant le transfert des prisonniers afghans.

Mais il reste à voir si le premier ministre Harper en mettra suffisamment dans la coupe pour plaire à ses adversaires aux Communes et éviter un affrontement qui pourrait s'envenimer au point de provoquer des élections hâtives, si le gouvernement perdait un éventuel vote de confiance en Chambre.Réagissant pour la première fois mercredi à la décision «historique» du président de la Chambre des communes, Peter Milliken, qui s'est rangé mardi derrière les arguments de l'opposition qui réclame de voir ces fameux documents depuis des mois, M. Harper a affirmé qu'il veut bien la respecter, mais à certaines conditions.

«Nous sommes prêts à nous plier à la décision du président tout en respectant nos obligations légales établies par les lois adoptées par le Parlement. Le fait est que le gouvernement ne peut pas enfreindre la loi, il ne peut pas ordonner aux fonctionnaires d'enfreindre la loi et il ne peut pas faire quoi que ce soit qui pourrait mettre inutilement en danger la sécurité des troupes canadiennes», a affirmé le premier ministre en réponse à une question du chef libéral, Michael Ignatieff.

Mais interrogé plus tard par le chef du NPD, Jack Layton, M. Harper a laissé entendre que les trois partis de l'opposition pourraient toujours se liguer contre le gouvernement conservateur minoritaire aux Communes s'ils sont insatisfaits de la décision du cabinet dans ce dossier.

«Nous cherchons à respecter la décision (du président) et nos obligations légales. (...) C'est toujours le cas, (la survie du) gouvernement dépend de la confiance de la Chambre», a-t-il dit.

L'opposition bondit

Ces propos ont fait bondir les partis de l'opposition, qui ont conclu que le premier ministre n'écartait pas la possibilité de forcer la tenue d'un vote de confiance sur cette épineuse question.

«Si M. Harper veut absolument des élections sur ça, (...) ce sera sa décision. On ne se pliera pas aux diktats de M. Harper. Je ne suis pas un béni-oui-oui comme ses députés du Québec», a affirmé le chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe.

À la lumière des propos de Stephen Harper, les néo-démocrates de Jack Layton craignent pour leur part que les conservateurs s'entêtent dans leur refus de fournir des documents non censurés, ce qui constitue selon eux un très mauvais point de départ pour des pourparlers.

«J'espère que M. Harper veut vraiment trouver une solution, a dit M. Layton, méfiant. Parce que le président a été très clair: la Chambre des communes est suprême sur la question. Si le premier ministre sème des menaces à tout vent, ce n'est pas comme ça qu'on va avancer.»

Les trois partis de l'opposition réclament qu'on leur remette des milliers de pages de documents secrets non censurés afin de déterminer si le gouvernement Harper savait que les prisonniers afghans transférés par les soldats canadiens risquaient d'être torturés par les autorités afghanes. C'est du moins ce qu'a soutenu le diplomate Richard Colvin devant un comité parlementaire, en novembre dernier, relançant tout le débat sur le transfert des détenus.

Les principaux ministres du gouvernement Harper ont toujours nié avoir été mis au courant des risques de torture. Le gouvernement refuse toutefois de remettre les documents liés au dossier, prétextant que cela pourrait mettre en cause la sécurité nationale et celle des soldats canadiens en mission en Afghanistan.

Deux semaines

Le président des Communes a donné mardi deux semaines au gouvernement et à l'opposition pour trouver une solution permettant aux parlementaires d'avoir accès à l'information, mais sans compromettre la sécurité nationale. Les leaders parlementaires des quatre partis doivent trouver un terrain d'entente. Le chef du NPD, Jack Layton, a d'ailleurs rencontré individuellement M. Ignatieff et M. Duceppe, mercredi, pour commencer à préparer des propositions à soumettre au gouvernement.

Plus tôt en matinée, le chef libéral Michael Ignatieff a soutenu que plusieurs solutions s'offraient au gouvernement et aux partis de l'opposition.

«Cela fait des mois que nous disons qu'il y a une solution si des gens raisonnables se mettent au travail, a dit M. Ignatieff. Le Parti libéral est de bonne foi. On n'a pas changé de position au cours des cinq derniers mois. On respecte la nécessité de protéger la sécurité nationale et la sécurité de nos troupes.

«Mais on a toujours dit de façon aussi ferme qu'il faut respecter la volonté du Parlement, qui est la volonté du peuple», a-t-il ajouté.

Le dossier a été abordé à l'occasion du caucus des députés conservateurs, mercredi matin. Le leader parlementaire du gouvernement aux Communes, Jay Hill, a indiqué à ses collègues qu'il avait déjà discuté de dates pour rencontrer ses homologues des autres partis. Selon des députés conservateurs, il serait hasardeux de provoquer des élections générales sur la question des détenus afghans.

«Il n'y a personne qui veut aller en élections sur cette question. Je ne me vois pas partir en campagne électorale pour demander le mandat de garder des documents secrets», a résumé mercredi une source conservatrice.