«J'ai toujours fait des films populaires, des affaires qui s'adressaient à ma mère et aux p'tits bums de l'est. Je ne me suis jamais emmanché dans le cinéma d'auteur... »

Pierre Falardeau, c'est connu, a toujours été plus à l'aise avec le « peuple » que dans les salons. « Je n'ai jamais gagné de médaille mais j'ai le prix de la rue », me disait-il en entrevue, début mai, lors de la sortie de son livre Rien n'est plus précieux que la liberté et l'indépendance, un titre qui englobe toute son oeuvre, à l'écran comme à l'écrit. Plus encore, d'aucuns y verront un résumé de sa vie.

Né à Montréal le 28 décembre 1946, Pierre Falardeau fréquentera le Collège de Montréal, rue Sherbrooke; à la vieille maison des Sulpiciens, il fait la connaissance de Julien Poulin qui restera son ami et complice jusqu'à la fin. Sportif, le jeune Falardeau s'adonne à la pratique du football et s'initie brièvement à la boxe qu'il a découverte grâce à Ernest Hemingway qu'il préférera toujours à Musset, comme il sera plus « allumé » par les muralistes mexicains, chantres de la révolution, que par les romantiques français. « Moé, les pots de fleurs... »

L'art populaire, répétera Pierre Falardeau, n'est jamais bien loin du politique.

Après son cours classique, il entreprend en 1967 des études d'anthropologie et d'ethnologie à l'Université de Montréal. Une formation qui, dira plus tard la productrice Bernadette Payeur, amènera Falardeau le cinéaste à « scruter l'humain ».

Pierre Falardeau co-scénarise et co-réalise avec Julien Poulin un premier court-métrage en 1971 : Continuons le combat transpose le combat pour l'indépendance du Québec dans l'arène de lutte. Le tandem documentariste s'engage là dans une voie dont il ne s'éloignera plus beaucoup, sur le fond du moins.

Suivent Les Canadiens sont là (1973), là dans une mission culturelle canadienne qui tourne mal à Paris; Le Magra, (1976) sur la formation des policiers, qu'ils présenteront à la Biennale de Venise; À force de courage (1977), tourné en Algérie, qui vit alors la deuxième décennie de son indépendance.

Après six ans de tournage (à leurs frais), Falardeau et Poulin sortent leur premier long-métrage en 1978 : Pea Soup traite de l'aliénation du peuple québécois, de l'usine à la taverne, des ruelles de l'est aux avenues de Westmount où les « cabanes » des puissants - avec noms et adresses - sont montrées en images fixes. Deux ans plus tard, avec un titre sorti du même souffle, arrive Speak White, sur le célèbre poème de Michèle Lalonde : « Nous sommes un peuple inculte et bègue »...

«Think big, s'tie!»

En 1981, Julien Poulin passe devant la caméra pour incarner Elvis Gratton dans un court-métrage du même nom. On est au lendemain du premier référendum, E.G. a voté NON et arbore fièrement des boxers aux couleurs de l'unifolié... Et « Gratton » -- Pierre Falardeau ne prononçait jamais le nom Elvis en évoquant la série - vaut au duo un Genie Award à Toronto. Avec Les vacances d'Elvis Gratton (1983) et Pas encore Elvis Gratton, le mythe s'étend de toute sa force dans Elvis Gratton, le King des Kings qui réunit les trois courts métrages. Les noms de Falardeau et de Poulin sont sur toutes les lèvres; en incluant Elvis Gratton, le Québec compte trois nouvelles stars et une nouvelle devise : « Think big, s'tie! ».

En 1989, Falardeau change de ton : Le party traite toujours de liberté, ou d'absence de, mais perçue, ici, du fond de la cellule d'une prison. L'ex-felquiste Francis Simard, qui a passé 11 ans en prison pour le meurtre du ministre Pierre Laporte en octobre 1970, a collaboré au scénario du film; son livre Pour en finir avec octobre servira de base à Octobre le film, que Falardeau sortira finalement en 1994 après dix ans de marchandage avec les instances subventionnaires. À Téléfilm Canada, Pierre Falardeau n'a jamais eu de cesse de réclamer pour ses projets « l'argent qu'ils nous ont volé ».

Le temps des bouffons (1993) représente probablement, à l'écran, la charge la plus virulente de Pierre Falardeau contre l'establishment. Sur des images filmées au cours d'une soirée-anniversaire du Beaver Club de Montréal, le cinéaste livre en voix hors-champ un texte qu'il a écrit lui-même et dans lequel il pourfend les élites francophones québécoises en des termes d'une violence sans égal, avant ou depuis.

« Pourquoi on n'a pas le droit de parler de nos affaires entre nous autres ?» À la fin des années 1990, le refus de Téléfilm de subventionner la production de 15 février 1839 amène Pierre Falardeau à lancer une grande campagne de souscription publique qui culmine dans un spectacle-bénéfice présenté au Spectrum. Le film de 3 millions de dollars, sur les dernières heures des patriotes québécois condamnés à l'échafaud pour leur rôle dans la rébellion de 1837-38, sortira finalement en janvier 2001, sans aide fédérale. La performance de Luc Picard, dans le rôle de Chevalier de Lorimier, lui vaudra le Jutra du meilleur acteur au gala de 2002.

Il y a deux semaines à Québec, Pierre Falardeau n'avait pu participer à ce Moulin à paroles dont il avait, indirectement, provoqué la mise sur pied en menaçant de perturber la reconstitution de la bataille des plaines d'Abraham initialement prévue (par la Commission fédérale des champs de bataille) pour souligner le 250e anniversaire de la Conquête.

Au Moulin à paroles, Luc Picard a lu cette « Lettre à mon fils », que Pierre Falardeau avait écrite à Jérémie, son « ti-cul » de trois mois, au soir du référendum de 1995. « Dans quinze ou vingt ans, tu liras peut-être cette lettre. À ce moment-là, ton père sera devenu un vieil homme. Vainqueur ou vaincu, peu importe.

«Au moins, tu sauras qu'il n'a pas reculé, qu'il n'a pas courbé la tête, qu'il ne s'est pas écrasé bêtement par paresse ou par lâcheté. Tu sauras qu'il s'est battu pour la cause de la liberté comme tu devras te battre à ton tour. C'est la loi des hommes, la loi de la vie. »

SOURCES :

pierrefalardeau.com; voxlatina.com; Télé-Québec.