Quand Normand Cazelais était petit, dans les années 40 et 50, à Montréal, il n'entendait presque jamais des gens se plaindre de l'hiver.

«L'hiver, la neige dans les rues, ça faisait partie de la vie», explique le géographe, qui vient de publier Vivre l'hiver au Québec. «Ce n'est qu'avec les voyages dans le Sud, les tunnels souterrains et les garages intérieurs que les Québécois ont commencé à imaginer leur existence sans la neige. Sommes-nous en train de perdre le contact avec une dimension fondamentale de notre territoire?»

 

Le livre de M. Cazelais tente de nager à contre-courant. Il raconte comment, après la tempête du siècle le 4 mars 1971, les cols bleus de Montréal avaient chaussé des raquettes et sondaient les bancs de neige avant le passage de la souffleuse, pour éviter qu'elle n'endommage des voitures enfouies. Il note aussi que l'hiver avait parfois, au début du siècle dernier, un impact diamétralement opposé à aujourd'hui: les ponts de glace permettaient d'accroître la circulation vers Montréal et dans certains cas, comme à L'Isle-Verte, fournissaient un lien avec la terre ferme qui n'existait pas durant la belle saison.

«Notre pays est né à cause du froid, à cause des fourrures», indique l'ancien journaliste, qui a travaillé en environnement à Hydro-Québec et à la Commission de toponymie. «Les relations entre les hommes et les femmes ont été modelées par les chantiers d'hiver, qui amenaient les hommes loin de la maison pendant plusieurs mois chaque année.»

Au passage, il avance que le Québec a accueilli les premières stations de ski modernes, dans les années 20. Une information confirmée par Danielle Soucy, qui vient de publier Des traces dans la neige, cent ans de ski au Québec. «Il y a eu une première tentative de remontées mécaniques en Allemagne au début du XXe siècle, mais ça n'a pas marché, note Mme Soucy. Les premières remontées mécaniques qui ont bien fonctionné commercialement sont apparues à la fin des années 20 au Québec, quelques années avant les Alpes.»

Le Québec est l'un des hauts lieux de la souffleuse et... des abris Tempo, avec des pôles à Cap-Santé, près de Québec, et Joliette, respectivement. «Notre culture technique est vraiment marquée par le froid», dit M. Cazelais.

Une culture technique qui verse parfois dans la démesure. Une lecture de jeunesse de M. Cazelais, Erres boréales de Florent Laurin (un pseudonyme de l'auteur de science-fiction Armand Grenier), prévoyait le réchauffement des courants polaires à l'aide de gigantesques chaufferettes sous-marines pour avoir dans l'Ungava un climat digne des tropiques. Déjà, l'hiver donnait envie à certains de déménager dans le Sud.