C'est une tragédie, survenue aux Pays-Bas, qui l'a fait connaître du monde entier. En novembre 2004, un Néerlandais d'origine marocaine assassine le cinéaste Théo Van Gogh.

Ce dernier venait tout juste de réaliser le court métrage Soumission, un film dans lequel une femme au visage voilé, mais au corps nu, raconte à Allah les sévices qu'elle a subis au nom de la religion: violence, viol, mariage forcé. Sur sa peau, on peut lire des sourates du Coran.

En tuant le cinéaste, le meurtrier a laissé dans son dos, sous un poignard, une liste de personnes à éliminer. Le nom d'Ayaan Hirsi Ali, la scénariste du film, y figurait tout en haut.

Depuis, la jeune femme d'origine somalienne vit sous haute sécurité. Elle ne va nulle part sans des gardes armés. Avant de la rencontrer, à Montréal, les représentants de La Presse ont dû répondre à un interrogatoire de son garde du corps.

La menace qui plane sur elle n'a cependant jamais réduit Ayaan Hirsi Ali au silence. Auteure de deux livres, dont Infidèle, des mémoires dans lesquels elle raconte son enfance en Somalie dans une famille musulmane dévote, ainsi que son exil aux Pays-Bas pour éviter un mariage forcé, la jeune femme a été au coeur de plus d'une controverse. Notamment quand il a été révélé qu'elle avait pris quelques libertés avec la vérité en demandant l'asile, en 1992.

En croisade

Aujourd'hui, âgée de 38 ans, l'ex-députée vit à Washington sous la protection du American Enterprise Institute, un comité d'experts réputé néoconservateur. De là, elle tient les rênes de la fondation Ayaan Hirsi Ali, qui mène une croisade pour les droits de la femme dans les pays musulmans et s'oppose à l'utilisation de la loi islamique, la charia, dans les systèmes de justice des démocraties occidentales.

C'est justement de ce dernier sujet qu'elle est venue entretenir les participants du Salon Speakers Series, une série de conférences sur l'avenir de l'Europe, abrité par le 357 C, le club privé de l'homme d'affaires et mécène Daniel Langlois.

Ses opinions sur le multiculturalisme, la politique adoptée par le Canada en 1982, mais boudée par le Québec qui y a préféré l'interculturalisme, sont tranchantes. «Le multiculturalisme trahit les femmes et les enfants», dit-elle en entrevue dans un hôtel de Montréal.

Elle note du coup que tous les éléments du multiculturalisme ne lui répugnent pas: «Un multiculturalisme descriptif dans lequel chacun mange ce qu'il veut, se marie avec qui il veut, décore sa maison comme il veut est bénin. Là où il y a un problème, c'est avec le multiculturalisme dans lequel des minorités sont exemptées des obligations que tous les autres ont. Quand ils ont des droits spéciaux que personne d'autre n'a», précise-t-elle.

Les Pays-Bas et la Grande-Bretagne

Celle qui a vécu aux Pays-Bas pendant plus de 14 ans croit notamment que le multiculturalisme qui est pratiqué dans son pays d'adoption est l'un des pires avec celui de la Grande-Bretagne.

Aux Pays-Bas, relate-t-elle, une cour a déjà empêché une immigrée d'origine marocaine d'obtenir le divorce au nom de son contrat de mariage rédigé selon les lois islamiques. En Grande-Bretagne, ajoute-t-elle, le gouvernement cède trop souvent aux pressions faites par des groupes musulmans.

Elle donne en exemple un récent incident impliquant un député néerlandais, Geert Wilders. Le politicien de droite, qui a soulevé la controverse en qualifiant le Coran de livre «fasciste», s'est vu refuser l'accès à la Grande-Bretagne.

Comme Ayaan Hirsi Ali, le député a reçu des menaces de mort à la suite des propos qu'il a tenus sur l'islam, notamment dans le film Fitna qu'il voulait présenter devant la Chambre des lords de Londres.

«Des groupes de musulmans ont dit que s'il se rend en Grande-Bretagne pour montrer son film, il va y avoir des émeutes. Et la réponse du secrétaire à l'Intérieur n'a pas été d'arrêter les musulmans de causer des émeutes, mais de céder à la demande qui a pour effet d'empêcher un député d'un parlement européen de se présenter devant un autre parlement. En Europe, ce genre d'incidents est assez commun», déplore-t-elle.

Interrogée sur le contrat d'intégration que doivent signer depuis janvier les nouveaux arrivants au Québec et dans lequel ils reconnaissent la laïcité du Québec ainsi que le principe d'égalité homme femme, Ayaan Hirsi Ali ébauche un large sourire. «C'est une manière honnête de faire les choses. Un immigrant qui a signé ce papier ne peut feindre de ne pas en connaître le contenu. S'il veut battre sa femme ensuite, il le fait en connaissant les conséquences», ajoute-t-elle.