Son école a l'air d'une prison. La directrice de Calixa-Lavallée le dit franchement. Le gros bloc de béton gris de six étages fait peur. Rien pour l'aider à se défaire de sa mauvaise réputation d'école violente remplie de gangs de rue.

Cette réputation, elle la doit entre autres au gang de la rue Pelletier qui a fait la loi et vendu du crack pendant des années devant l'école. Devant et non dedans. Mais l'étiquette lui colle à la peau.

 

Depuis l'arrestation du gang et de son chef, Bernard Mathieu, en 2005, le secteur est plus calme. Beaucoup plus calme.

Pourtant, l'école traîne toujours sa mauvaise réputation. «Avez-vous des détecteurs de métal?» C'est LA question posée par les jeunes enseignants avant d'accepter un poste ou par des parents qui ont peur d'y envoyer leur enfant.

Calixa n'a pas de détecteurs de métal, mais l'école ne lésine pas avec la sécurité des élèves et de son personnel, répète souvent la directrice, Sylvie Beaupré, grande au ton persuasif. «Je rencontre parfois des parents qui veulent voir le VRAI directeur parce qu'il ne croit pas que Calixa puisse être dirigée par une femme.»

Le stationnement des enseignants est clôturé et fermé à clé durant les cours pour éviter les débordements d'élèves. L'aire des casiers est aussi entourée de barreaux, qui rappellent encore une fois la prison. Les élèves y ont accès seulement durant de courtes périodes pour éviter les vols.

Des agents spéciaux

Cinq agents de sécurité de la compagnie privée Cartier travaillent à temps plein dans l'école. Un Haïtien, trois Arabes et un Latino. On les appelle ici des agents de prévention. Il y a aussi un surveillant de la commission scolaire, le seul «ti-blanc», comme il dit lui-même, Jean Laverdure. Les agents ne portent pas l'uniforme classique, mais un simple polo comme les élèves. Ils communiquent entre eux par walkie-talkie. La direction et les éducateurs spécialisés en sont aussi équipés.

Les jeunes sont vite pincés quand ils déconnent. Au début de l'année scolaire, un élève s'amusait avec un fusil à plombs à viser une pancarte dans la cour d'école. Il a atteint un enfant du primaire qui passait par là. «On l'a trouvé en une demi-journée», indique le chef de la sécurité et ancien policier en Algérie, Karim Kadi. Ce grand et gros bonhomme à la moustache hirsute part du principe qu'un enfant a le droit à l'erreur. «La jeunesse montréalaise est malheureuse. Ce n'est pas juste Montréal-Nord. On n'écoute pas assez nos jeunes», dit-il, faisant référence à la mort du jeune Fredy Villanueva.

Les agents servent aussi de traducteurs lors de rencontres avec les parents. Ici, la moitié des élèves ont une langue maternelle autre que le français (48%). Ils parlent l'arabe, l'espagnol ou le créole.

Dans un milieu défavorisé, les jeunes font souvent des folies pour attirer l'attention sur leurs problèmes. Comme cet ado qui recevait des menaces de mort dans son casier. «On s'est rendu compte qu'il écrivait lui-même les mots. Ses parents venaient de se séparer et il réagissait mal», ajoute le «ti-blanc», M. Laverdure.

Une tournée sur l'heure du dîner avec Snack Lucate, agent d'origine haïtienne, donne un aperçu de l'action qui se déroule à l'intérieur de l'école. Et dans les environs. Quelques minutes après la cloche, à peine arrivé dans la cour, Snack reconnaît une élève «recherchée» par son directeur de niveau. Plus tôt dans la journée, elle avait failli se battre avec une autre élève dans les escaliers. «Come on Snack, tu peux juste pas me faire rentrer», lance la jeune fille à l'attitude rebelle. L'agent lui répète que c'est pour son bien et la raccompagne jusqu'au bureau du directeur.

«Belle voiture pour le coin»

Une fois ressorti, Snack va faire un tour à la «seconde cafétéria de l'école», une pizzeria au coin de la rue Pelletier et du boulevard Henri-Bourassa. Une Mercedes est stationnée devant. De petits groupes d'élèves, revêtus de larges kangourous par-dessus leur polo à l'effigie de l'école, flânent en mangeant une pointe à 1$. «Belle voiture pour le coin», laisse échapper l'agent qui a grandi dans Montréal-Nord.

Les agents de Calixa ont pris l'habitude de faire leur ronde jusqu'au restaurant. Le gérant l'apprécie, les bagarres y sont moins nombreuses.

Après avoir mangé une pointe, Snack continue son chemin vers les immeubles Pelletier où le gang de rue du même nom sévissait. Dans la cour arrière, huit jeunes fument un joint. «Yo, c'est Snack», dit une élève de l'école avant de déguerpir. Ceux qui restent jettent des regards de défis à l'agent. «Ce sont des anciens élèves. Si nos jeunes viennent les voir, on peut intervenir auprès d'eux, mais il faut s'attendre à se faire insulter», explique l'agent au calme inébranlable.

Snack a trouvé un truc quand il découvre un jeune attiré par les gangs de rue. Il sort son drapeau d'Haïti aux couleurs rouge et bleu. «À quoi ça sert de se battre pour votre drapeau?» demande-t-il. Les gangs d'allégeance rouge (ou Bloods) sont présents dans Montréal-Nord et sont traditionnellement en conflit avec les Bleus (ou Crips) du quartier voisin, Saint-Michel. Il leur rappelle la devise du petit pays des Antilles: L'union fait la force.

De retour dans l'école, une centaine de jeunes sont massés en cercle. Au centre, deux jeunes font du «free style», une compétition de danse improvisée. Il n'y a pas de musique. De toute façon, elle serait couverte par le vacarme des élèves qui encouragent les danseurs. Le concours ne dure pas longtemps. Les agents et quelques enseignants arrivés en renfort dispersent les jeunes. «On essaie d'éviter les rassemblements», explique Snack.

Plus facile à dire qu'à faire. Encore une fois l'architecture du bâtiment n'aide pas. Il est construit en hauteur. Un étage par niveau du secondaire. Mais quand tout ce beau monde attend la cloche pour monter aux étages, l'agora du rez-de-chaussée ressemble à une boîte de sardines. Ça joue du coude. Les plus vieux s'assoient sur les rampes des escaliers roulants condamnés depuis cinq ans en raison d'un accident où plusieurs élèves se sont retrouvés à l'hôpital. Les plus jeunes courent avec leurs cartables en accrochant à tout coup un grand de cinquième qui leur fait des gros yeux.

L'école aux rayons X

L'école a récemment été passée aux rayons X. Le but: identifier les fractures, question de mettre des plâtres aux bons endroits. Un chercheur de l'Université de Montréal a sondé les élèves et le personnel de l'école en 2003, 2005 et 2007 pour le compte du ministère de l'Éducation. Résultats: les relations entre les élèves, le sentiment d'appartenance à l'école et le climat de sécurité ont été jugés négatifs. L'endroit où les élèves se sentent le moins en sécurité? Le voisinage immédiat. Ironiquement, le lieu sur lequel l'école n'a aucun contrôle. Viennent ensuite les toilettes (franchement délabrées), le stationnement et la cour d'école.

Une majorité d'élèves croit que les bagarres et les conflits ethniques sont fréquents. Or, dans les faits, une infime minorité de jeunes en ont été victimes, selon le sondage.L'écart est grand entre la perception et la réalité.

Tout n'est pas négatif à Calixa: le soutien aux élèves en difficulté et les pratiques pédagogiques ont été jugés satisfaisants.

Jasmine, 16 ans, se souvient de ses premières semaines à l'école. Elle venait d'arriver d'Algérie. «J'avais peur. On me disait qu'il y avait plein de gangs de rue et que tu pouvais te faire tirer dessus en sortant de l'école», raconte l'ado. Aujourd'hui ses craintes se sont envolées. Elle s'implique même dans une activité de pairs aidants pour intégrer les élèves de première secondaire.

Une autre élève en troisième secondaire se rappelle très bien d'une activité de prévention à son école primaire. «Un policier nous avait mis en garde contre les gangs de Calixa qui recrutaient des filles», dit-elle. Ici les jeunes disent tous la même chose: les activités illicites des gangs ne se déroulent pas dans l'école.

Le président du conseil d'établissement de l'école, André Morin, aurait eu les moyens d'envoyer ses quatre filles au privé. Il a pourtant choisi Calixa-Lavallée. «Calixa ressemble à la vraie vie montréalaise, très multiethnique. Ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas d'accrochage. La différence, tu la vis tous les jours», souligne celui qui était parmi les premiers élèves de l'école, à son ouverture en 1969. Une seule chose désole M. Morin: le délabrement du bâtiment. «L'école a été mal entretenue. À certains endroits, il y a un pouce et demi de poussière. Entre investir dans les enfants ou la bâtisse, le choix est facile à faire.»