Au moment même où le gouvernement fédéral défendait en Cour suprême sa décision de ne pas réclamer le rapatriement d'Omar Khadr, les États-Unis ont annoncé que le ressortissant canadien détenu à Guantánamo serait transféré en sol américain pour faire face à la justice. Il n'en fallait pas plus pour donner de nouvelles munitions à Ottawa, qui plaide qu'il faut laisser les procédures américaines suivre leur cours.

Le plus haut tribunal du pays a entendu, hier, les avocats du gouvernement conservateur appeler de la décision de la Cour fédérale et de la Cour d'appel, qui avaient toutes deux conclu qu'Ottawa se devait de réclamer auprès des États-Unis le rapatriement d'Omar Khadr.

Arrêté en Afghanistan en 2002, alors qu'il n'avait que 15 ans, le jeune Torontois fait face à des accusations notamment de meurtre et de tentative de meurtre, mais n'a jamais subi de procès.

Depuis des années, l'opposition à Ottawa, les groupes de défense des droits et les proches de M. Khadr font pression, en vain, sur le gouvernement fédéral pour qu'il vienne en aide au prisonnier canadien, qui aurait notamment été torturé dans le critiqué centre de détention.

Me Robert Frater, l'avocat du gouvernement, a plaidé hier que ce soi-disant devoir de protéger les ressortissants à l'étranger n'existe ni dans la loi canadienne, ni à l'international. Le Canada a, selon lui, pris ses responsabilités en considérant la demande de M. Khadr, mais n'est pas dans l'obligation d'y répondre. Compte tenu de la gravité des crimes reprochés au jeune Khadr, Ottawa estime qu'il est préférable de laisser le processus judiciaire américain suivre son cours. La question est de savoir si le tribunal peut forcer la main du gouvernement.

L'ensemble des intervenants entendus lors des audiences en Cour suprême, en grande partie des groupes de défense des droits et des juristes, ont appuyé la demande du ressortissant.

Mais alors que Me Nathan Withling soulignait que le dossier de son client stagnait depuis sept ans, l'administration américaine a annoncé qu'Omar Khadr serait transféré aux États-Unis dans les prochains mois pour être jugé par une commission militaire.



Consternation


«Je suis consterné, terriblement déçu par la décision du gouvernement américain», a lancé un des avocats du jeune prisonnier, Me Barry Coburn, qui estime que M. Khadr ne pourra pas avoir un procès juste.

Les partis de l'opposition et les groupes de défense des droits ont aussi déploré l'annonce.

Mais le gouvernement conservateur s'est aussitôt réjoui de ce nouveau développement, avant même la fin des audiences au plus haut tribunal du pays.

«Nous avons pris acte de la décision de l'administration Obama, selon laquelle Omar Khadr comparaîtra devant la commission militaire des États-Unis. Nous estimons que les procédures légales aux États-Unis, qui ont été annoncées aujourd'hui, doivent suivre leur cours», a dit le député Pierre Poilievre, secrétaire parlementaire du premier ministre Stephen Harper, en point de presse.

Mais, du même souffle, M. Poilievre a décoché une flèche en direction des tribunaux, en estimant que «la décision de demander le rapatriement d'Omar Khadr est une décision pour le gouvernement démocratiquement élu, et non pas pour la Cour».

Ces propos ont soulevé la grogne, notamment du député néo-démocrate Joe Comartin, qui y voit presque une forme de mépris envers la Cour suprême du Canada.

«Ça démontre une ignorance de notre système constitutionnel au Canada, a dit M. Comartin. Les juges ont le droit et la responsabilité de dire aux gouvernements que s'ils brisent la charte des droits, leurs actions seront analysées et il devra y avoir réparation.»