C'est lundi, 25 octobre, que doit reprendre à Guantánamo le procès d'Omar Khadr, jeune Canadien accusé d'avoir tué un soldat américain en Afghanistan en 2002. Le procès avait été interrompu abruptement le 12 août dernier, après quelques jours seulement, lorsque l'avocat de la défense s'est évanoui en pleine salle d'audience, au milieu de l'interrogatoire d'un témoin-clé.

La cause a de nouveau été reportée la semaine dernière alors que se déroulaient d'intenses négociations pour conclure une entente à l'amiable qui réduirait la peine imposée à Omar Khadr s'il acceptait de plaider coupable... et éviterait la tenue d'un procès embarrassant pour l'administration américaine. Alors que l'issue des pourparlers se fait toujours attendre, voici quelques repères pour comprendre un procès hautement médiatisé.

1 Un tribunal contesté

Le procès d'Omar Khadr ne se déroule pas devant un tribunal habituel ni une cour martiale. En 2001, après les attentats du 11 septembre, le président américain George Bush avait mis sur pied des tribunaux d'exception, appelés «commissions militaires», pour juger hors du système de justice américain les combattants ennemis faits prisonniers dans la guerre au terrorisme. Le concept de commissions militaires n'avait pas été utilisé depuis la Seconde Guerre mondiale. Au mois de juin 2006, la Cour suprême des États-Unis a déclaré que les commissions militaires de Guantánamo étaient illégales. Après ce revers, une loi a été adoptée et les règles ont été modifiées pour légitimer le processus.

2 La justice de l'armée

Dans une commission militaire, le juge, les membres du jury et les avocats font tous partie des forces armées. Au procès d'Omar Khadr, il y a une seule exception: Jeff Groharing, le procureur principal du gouvernement américain, a quitté la vie militaire entre le début du processus, en 2006, et l'ouverture du procès comme tel, en 2010. Omar Khadr a congédié ses avocats civils au mois de juillet dernier, mais le juge, le colonel Patrick Parrish, l'a obligé à conserver son avocat militaire, le lieutenant-colonel Jon Jackson. La sélection des jurés s'est faite au mois d'août, parmi 15 militaires présélectionnés. L'avocat de la défense a réussi à exclure ceux qui s'étaient portés volontaires pour servir à titre de jurés et ceux qui ont été touchés de près par l'explosion d'une bombe artisanale.

3 La mort d'un militaire

Omar Khadr est le premier prisonnier de Guantánamo à avoir un procès depuis l'arrivée au pouvoir de Barack Obama, qui avait promis de fermer cette prison controversée. Pourquoi lui? Alors qu'il est difficile de prouver la culpabilité d'une personne accusée de soutien au terrorisme, Omar Khadr est l'un des rares détenus qui pensent être liés directement à la mort d'un homme. Le soldat américain Christopher Speer est mort en août 2002, après avoir été blessé dans l'explosion d'une grenade le 27 juillet 2002, au cours d'un combat dans lequel Omar Khadr a été capturé. Mais aucun témoin n'a vu le Canadien lancer la grenade et il a été prouvé qu'il y avait deux survivants au moment où elle a été lancée, après d'intenses bombardements aériens de l'armée américaine sur le repaire ennemi. Grièvement blessé lors de ces bombardements, Omar Khadr nie avoir lancé la grenade.

4 Un enfant-soldat

Dès son plus jeune âge, Omar Khadr a vécu entre le Canada, le Pakistan et l'Afghanistan des talibans, au gré des déplacements de sa famille. À l'été 2002, alors qu'il était âgé de 15 ans, son père l'a placé dans une cellule de combattants, apparemment pour qu'il serve de traducteur. C'est le repaire de cette cellule qui a été bombardé le 27 juillet 2002, jour où le jeune Khadr a été fait prisonnier. Son âge au moment des faits est un élément-clé de la défense. Selon les critères de l'ONU, Omar Khadr entre dans la catégorie des enfants-soldats. Or, les conventions internationales accordent une protection particulière aux enfants engagés dans des conflits armés. Le Canada a ratifié le protocole facultatif de la convention relative aux droits de l'enfant en juillet 2000.

5 Un lourd historique familial

Né le 19 septembre 1986 à Scarborough, en banlieue de Toronto, Omar Khadr porte le lourd poids de son nom de famille. Son père, Ahmed Saïd Khadr, était proche d'Oussama ben Laden. Soupçonné d'avoir été impliqué dans un attentat en 1995 et d'avoir contribué au financement d'Al-Qaïda, Ahmed Saïd Khadr a été tué en 2003, dans un combat à la frontière entre le Pakistan et l'Afghanistan. Au début de la détention d'Omar Khadr, en 2002, les agents de renseignement, tant canadiens qu'américains, espéraient qu'il pourrait leur donner des renseignements qui les conduiraient à l'instigateur des attentats du 11 septembre, toujours recherché neuf ans plus tard. Ses frères et sa mère ont aussi fait les manchettes, tantôt faisant l'éloge du djihad, tantôt se qualifiant de «famille Al-Qaïda».

6 Une détention critiquée

Dans les mois qui ont suivi le 11 septembre, les règles encadrant l'interrogatoire des prisonniers de guerre avaient été laissées volontairement floues, la priorité étant de colliger les renseignements utiles le plus rapidement possible. Un débat sur ce qui constituait ou non de la torture a suivi. Outre le fait qu'il a été capturé à 15 ans et qu'il est détenu depuis maintenant plus de 8 ans, Omar Khadr affirme avoir été torturé par ses geôliers. Il soutient avoir été forcé de se tenir assis lors des interrogatoires, alors qu'il était grièvement blessé et dans de terribles souffrances. L'une des premières personnes à avoir interrogé le jeune Khadr, alors qu'il était encore sous sédatif, est le sergent Joshua Claus, qui a par la suite plaidé coupable à des accusations d'avoir maltraité des détenus à la prison de Bagram. Il a été prouvé qu'Omar Khadr a été menacé de viol collectif, voire de mort, lors des interrogatoires. La privation de sommeil, technique parfois apparentée à de la torture, a aussi été utilisée pour le faire parler.

7 Des aveux admissibles

Le 9 août 2010, le juge Patrick Parrish a accepté, au cours des audiences préliminaires, d'admettre en preuve des témoignages dont les avocats d'Omar Khadr estiment qu'ils ont été obtenus sous la torture. La poursuite avait soutenu que le jeune détenu avait avoué certains crimes volontairement. Le juge s'est rangé derrière cet argument. En 2003, M. Khadr a affirmé avoir dit «ce qu'ils voulaient entendre» aux agents qui l'avaient interrogé au tout début de sa détention, à l'été 2002. Parmi les éléments de preuve qui seront admissibles au procès, il y a une vidéo où l'on voit Omar Khadr en train d'assembler ce qui semble être des bombes artisanales. La défense soutient que le jeune homme a révélé sous la torture l'endroit où était cachée cette vidéo.

8 Une issue prévisible

Si le procès va de l'avant, l'issue semble facilement prévisible. «Il sera reconnu coupable», a dit, amer, l'avocat canadien d'Omar Khadr, Dennis Edney, la semaine dernière. Les organisations internationales et canadiennes craignent aussi que le jeune détenu n'ait pas droit à un procès juste et équitable dans un système comme celui des commissions militaires. Ainsi, la possibilité d'une entente à l'amiable où Omar Khadr plaiderait coupable en échange d'une peine de prison réduite, dont certaines années dans un centre de détention canadien, semble alléchante. Mais pour cela, il faudrait que le jeune prisonnier admette des crimes qu'il jure n'avoir pas commis. Ce n'est pas la première fois que les avocats de M. Khadr et ceux du gouvernement américain essaient de parvenir à une entente à l'amiable mais, chaque fois, les pourparlers ont achoppé, soit parce que le gouvernement canadien refusait de collaborer, soit parce que l'accusé lui-même refusait à la dernière minute de plaider coupable.

9 Des plaidoiries sur la peine

Si une entente à l'amiable est conclue dans les prochains jours et qu'Omar Khadr se lève lundi pour plaider coupable, le procès se poursuivra durant quelques jours. On fera entendre des témoins et des plaidoiries afin que le jury détermine la peine à imposer au prisonnier. La poursuite choisira assurément de faire comparaître la veuve du soldat Speer, Tabitha, ou encore les soldats qui ont été blessés dans les combats du 27 juillet 2002. De son côté, la défense invitera certainement des ONG qui viendront expliquer le concept d'enfant-soldat et des psychiatres qui viendront témoigner des possibilités de réhabilitation. Une fois la peine établie par le jury, si l'entente conclue au préalable - dont les détails sont souvent gardés secrets - prévoit une peine moins importante, c'est celle qui sera appliquée.

10 Le Canada embêté

Malgré d'innombrables revers devant les tribunaux, le gouvernement canadien refuse toujours de venir en aide à Omar Khadr, notamment de demander son rapatriement aux autorités américaines, qui ont accédé à toutes les demandes similaires de pays occidentaux. En janvier 2010, la Cour suprême du Canada a conclu qu'un interrogatoire conduit par des agents du Service canadien du renseignement de sécurité, en février 2003 à Guantánamo, avait violé les droits constitutionnels d'Omar Khadr, protégés par la Charte canadienne des droits et libertés. Le plus haut tribunal du pays a demandé au gouvernement de remédier à la situation.

Clinton et Cannon discutent...

La secrétaire d'État américaine Hillary Clinton s'est entretenue hier matin avec son homologue, le ministre des Affaires étrangères Lawrence Cannon, à propos du dossier d'Omar Khadr, alors que se déroulent d'intenses pourparlers pour en arriver à une entente à l'amiable à quelques jours de la reprise du procès du seul détenu canadien à Guantánamo. Le gouvernement canadien niait, depuis le début des rumeurs, être engagé dans une éventuelle entente. Les bureaux de Mme Clinton et M. Cannon ont refusé de confirmer officiellement si le cas d'Omar Khadr était au coeur de la conversation, mais des sources affirment que c'était en effet le cas.