Condamné à 40 ans de prison par un jury militaire pour le meurtre d'un soldat américain en Afghanistan, Omar Khadr en purgera 8 au maximum, en vertu d'une entente à l'amiable conclue à l'arraché à quelques jours de la reprise de son procès. Mais pour les défenseurs des droits de l'homme, sa condamnation rappelle que les commissions militaires de Guantánamo constituent un simulacre de justice.

Avec la condamnation d'Omar Khadr, la semaine dernière, plusieurs journalistes, et particulièrement les Canadiens, ont quitté la base militaire de Guantánamo, lundi, pour ne jamais y revenir. Mais si l'attention du monde entier risque de s'estomper dans les prochains mois, la prison américaine dans l'île de Cuba, elle, reste bien ouverte, malgré la volonté affirmée du président Barack Obama de la fermer.

Omar Khadr, dernier occidental détenu à Guantánamo, a reçu sa peine le 31 octobre, mais il reste plus de 170 détenus qui n'ont été ni accusés ni jugés devant les commissions militaires instaurées dans le cadre de la guerre contre le terrorisme.

Cinq causes en neuf ans

Depuis presque neuf ans, seules cinq causes ont été entendues devant ce tribunal d'exception. Résultat: cinq condamnations, dont trois à la suite d'une entente à l'amiable, deux cas impliquant des gouvernements étrangers et une sentence prononcée après un boycottage complet des audiences.

«Cinq condamnations en huit ans, ce n'est pas une très bonne statistique», a souligné la semaine dernière le colonel Jeffrey Colwell, procureur-chef de la défense pour le bureau des commissions militaires.

«C'est frustrant pour les avocats qui représentent des détenus qui ont été accusés à un moment ou à un autre, mais dont les causes sont maintenant en suspens», a-t-il ajouté.

Une seule cause est actuellement en cours d'instance à Guantánamo, celle du Soudanais Noor Uthman Mohammed, accusé de complot. Son procès doit commencer en février 2011. Des 174 détenus actuels, 57 Yéménites avaient été «autorisés à être libérés» avant l'attentat raté du jour de Noël, l'an dernier, qui a tout de suite été lié à la filiale d'Al-Qaïda au Yémen. Depuis, le sort de ces prisonniers est incertain, comme celui de dizaines d'autres.

«Ça ne peut pas continuer comme ça, dénonce Alex Neve, secrétaire général d'Amnistie internationale Canada. On ne peut pas laisser languir tous ces individus sans accusation ni procès. C'est une violation des droits de l'homme.»

«Près de deux ans après que Barack Obama ait promis de mettre un terme à tout ça, on est encore face à une justice qui ne respecte pas les normes internationales que les États-Unis ont eux-mêmes contribué à mettre en place», ajoute-t-il.

Les représentants d'organismes de défense des droits qui ont assisté aux audiences sur la peine à infliger à Omar Khadr, la semaine dernière, ont déploré que le jeune Canadien ait plaidé coupable à des accusations de crimes de guerre. Mais il s'agissait, selon eux, de la seule façon pour le détenu de 24 ans de sortir de Guantánamo.

«C'est un système vicié, qui accepte des preuves obtenues par la force, où les jurés sont présélectionnés par les autorités américaines, et où les accusés ne peuvent pas être défendus par l'avocat de leur choix, estime Andrea Prasow, de l'organisation Human Rights Watch. Le problème fondamental des commissions militaires, c'est qu'elles ne s'appliquent qu'aux étrangers. En soi, ça viole la Constitution américaine, qui prévoit pour tous une protection égale devant la loi.»

L'erreur du Canada

Le cas Khadr, selon les groupes de défense des droits, illustre parfaitement certaines failles de ce tribunal d'exception.

«Le fait qu'il avait 15 ans, qu'il était un enfant-soldat selon les normes internationales, aurait dû être pris en compte, explique M. Neve. Ainsi que les mauvais traitements qu'il a subis, qui ont été balayés sous le tapis.»

Selon lui, le Canada a contribué à légitimer un processus contestable en refusant d'intervenir. Stéphane Beaulac, professeur de droit constitutionnel à l'Université de Montréal, le croit aussi. Il critique le fait que le gouvernement ait toujours refusé, malgré des revers en justice, de rapatrier Omar Khadr sous prétexte qu'il fallait laisser le processus suivre son cours.

«En répétant qu'il faut faire confiance au système de justice américain, on occulte tous les aspects problématiques de ce spectacle, pas seulement pour Omar Khadr, mais pour tous les autres qui subissent cette parodie de justice à Guantánamo», a souligné M. Beaulac.

Pour l'heure, Alex Neve craint que l'attention internationale ne se détourne de Guantánamo, même s'il reste des dizaines de prisonniers dans les limbes juridiques. «Le degré d'importance qu'on leur accorde ne devrait pas dépendre de leur nationalité, conclut M. Neve, mais du fait que leurs droits fondamentaux continuent d'être cavalièrement violés.»