Depuis cinq ans qu'il est marié, Marc, qui est séropositif, a toujours porté le préservatif avec son conjoint. Mais leur décision commune les a récemment distingués de leurs amis.

«Pour beaucoup, utiliser un condom, c'est accepter d'avoir moins d'intimité», explique Marc, qui préfère taire son véritable nom. «On a une pression sociale, d'autant plus que le risque est beaucoup diminué avec la thérapie antirétrovirale.»

D'ailleurs, deux autres partenaires réguliers du Montréalais de 27 ans, tous deux séronégatifs, ont décidé il y a huit mois de ne plus porter de préservatif. «Ils se sont dit au début qu'ils prendraient des antirétroviraux tout de suite après une relation non protégée. Mais le médecin leur a dit que, comme ma charge virale est indétectable, ils n'avaient même pas besoin d'en prendre.» Par contre, Marc se sent une responsabilité accrue de bien suivre son traitement, pour garder une charge virale assez basse.

Louis et sa conjointe, qui forment un autre couple sérodiscordant, ont même envisagé d'avoir un enfant. «C'était surtout ma femme qui en voulait un autre», dit le banlieusard de 39 ans. «Moi, je trouvais qu'on en avait assez de trois. Et il n'est pas question qu'on prenne le risque d'avoir des relations sans condom, même s'il devient minime. Justement, on a trois enfants.» Louis, qui a été infecté par une femme il y a cinq ans, fréquente sa conjointe actuelle depuis trois ans et demi. Il lui a révélé sa séropositivité après avoir eu avec elle quelques relations sexuelles protégées, non sans avoir consulté un avocat pour savoir sa responsabilité criminelle dans ce cas de figure.

En cette Journée mondiale du sida, ces deux exemples illustrent le nouveau portrait de la sérodiscordance, rendu possible par les progrès de la trithérapie. «C'en est au point où on peut envisager d'abandonner la technique du lavage de sperme, qui peut coûter jusqu'à 20 000$, pour les couples sérodiscordants qui pensent à avoir des enfants», explique Mark Wainberg, médecin à l'Hôpital général juif qui dirige le Centre de recherche sur le sida de l'Université McGill.

Chaque année, une dizaine de couples sérodiscordants désireux d'avoir un enfant consultent Réjean Thomas et ses collègues de la clinique L'Actuel. «On dit souvent que, si tous les séropositifs suivaient la trithérapie, il n'y aurait plus de sida en 2050 parce qu'il n'y aurait plus de transmission», dit le Dr Thomas.

Une récente étude a montré que, chez les hommes séronégatifs qui ont fréquemment des relations non protégées avec des partenaires différents, une antirétrovirothérapie «prophylactique», c'est-à-dire préventive, permet en outre de réduire de 90% le risque d'infection.

«Pour les couples sérodiscordants monogames, on peut abandonner le préservatif à trois conditions: qu'il n'y ait pas d'autre MTS, que le conjoint séropositif suive bien sa trithérapie et que sa charge virale soit indétectable, dit le Dr Thomas. Mais, dans certains cas passagers, par exemple une personne dans une période vulnérable qui consomme de l'alcool ou des drogues, qui prend des risques et qui a régulièrement des MTS, on pourrait envisager la trithérapie en prophylaxie. Ce sont des gens qu'on pourrait aider avec de l'aide psychologique ou en travail social mais, en l'absence de ressources, on a au moins cette possibilité.»

Un groupe de militants de divers organismes, en conférence de presse dans le parc dédié aux victimes du sida à l'angle des rues Panet et Sainte-Catherine, confirme que les progrès de la trithérapie changent la donne. «On peut envisager que les séropositifs ne soient plus désignés comme des agents d'infection», explique Roger Le Clerc. M. Le Clerc cite un récent jugement de la Cour d'appel du Manitoba, qui a annulé quatre des six condamnations d'un séropositif ayant infecté des femmes, parce qu'il utilisait parfois un préservatif et avait une charge virale très faible.