Le graphisme est léché comme celui de la revue Maxim. Sur la page couverture, Bryan Adams ne fait pas sa fin quarantaine dans son gilet noir moulant. On y annonce à l'intérieur un portrait de Tony Bennett, à 82 ans, et des conseils pour être un bon grand-parent par alliance. Dans la forme et dans le contenu, on est loin du Bel Âge. Il y a même une section questions/réponses où les lecteurs demandent l'avis d'un expert sur leur sexualité.

La revue Zoomer s'adresse aux hommes et aux femmes de 45 ans et plus, c'est-à-dire aux baby-boomers qui deviennent vieux...et qui sont fiers de l'être! Son éditeur est Moses Znaimer, l'homme qui a fondé MuchMusic et Musique Plus. Vingt-cinq ans plus tard, l'homme est à la tête de Zoomer media, un conglomérat qui inclut des publications, des stations de radio et des portails web destinés aux 50 ans et plus.

Après avoir misé sur les jeunes, il mise sur les vieux. « Je parle à la même gang, mais elle n'est plus où elle était, indique-t-il. C'est une erreur de penser que la génération des boomers était significative en raison de sa jeunesse. Elle est significative parce qu'elle est nombreuse. »

Les boomers franchiront le cap de la soixantaine dans un tout autre ordre d'esprit. Comme le dit Moses Znaimer, « les boomers ne se promèneront pas sans leur dentier avec leur linge de la veille ». Ils veulent être beau, en amour et profiter de leur l'argent. «Il y a un esprit dans cette génération d'être bon et d'être entrepreneur.»

«Dans les années quarante et cinquante, les gens arrêtaient de travailler à 60 ans et mouraient à 65 ans. Aujourd'hui, nous avons 20 années de plus devant nous. Regardez-moi, j'ai 66 ans et je commence une nouvelle carrière.»

Moses Znaimer est loin du temps où Jacques Brel chantait : «Les vieux ne rêvent plus, leurs livres s'ensommeillent, les pianos sont fermés»...

Lors de notre entretien téléphonique, le producteur était dans une galerie branchée de la rue Queen, à Toronto. Il est le commissaire invité d'une exposition dont il a choisi le thème : Age, Ageing, Longevity and Radical Life Extension.

La jeunesse éternelle

Avec les baby-boomers (nés entre 1946 et 1965), la population considérée comme « âgée » atteindra 6,7 millions en 2021 et de 9,2 millions en 2041. Dans 20 ans, elle représentera environ une personne sur quatre.

Selon Statistique Canada, l'espérance de vie augmente de trois mois à chaque année. De 1979 à 2004, elle a augmenté de 6,4 années chez les hommes (77,8 ans), et de 3,8 ans chez les femmes (82,6 ans).

Mais ce ne sont pas seulement des vieux en santé qui vont bientôt franchir la soixantaine par milliers. Ce sont des gens qui croient en la jeunesse éternelle. « Ça change complètement la face de la vieillesse », indique François Ricard, professeur de littérature à l'Université McGill.

François Ricard a 61 ans. Il est l'auteur du controversé essai La Génération lyrique, publié en 1992. Ricard y présentait la génération des baby-boomers d'un point de vue critique. « Trop, selon certains », précise-t-il.

Quinze ans plus tard, Ricard parle d'une « espèce nouvelle » : « les néo-retraités ». « Ils revivent leur jeunesse. Ils se disent : je vais reprendre ma place dans la société, je vais donner le ton. C'est le moment où on se prend en main. On fait du sport, on voyage... On renoue avec sa grande époque : la jeunesse. »

« Cette génération a rencontré peu d'obstacles et ce sont les obstacles qui font vieillir, souligne-t-il. C'est le gros problème des boomers : renoncer à vieillir. On obéit à ses désirs, on fuit ses responsabilités. »

Rester aux commandes

Durant notre entrevue, François Ricard parle des boomers à la troisième personne, mais il corrige ses « ils » par des « nous ».

« Combien j'ai d'amis de 60 ans qui sortent avec des femmes de 30 ans. Ils font même de la compétition à leurs propres enfants, lance-t-il. On ne s'habille plus en vieux. On porte des jeans à 70 ans. On les paye cher, mais ce n'est pas grave. »

« Autrefois, sortir de la jeunesse, c'était s'alourdir, se résigner, poursuit François Ricard. Ce qui comptait, c'était les enfants, d'avoir une maison. C'était fini les folies. Mais pour les babyboomers, cette acceptation-là ne s'est jamais produite. C'est inconcevable. »

François Ricard parle du phénomène « de ne pas se tasser, d'être en position de commande ». Selon lui, il peut se cacher une grande angoisse derrière cette « incapacité à se voir soi-même comme vieux ».

Comme les gens de sa génération ont du mal à accepter les limites de la vieillesse, il pense qu'ils revendiqueront le droit à la mort douce. Il cite en exemple les personnages épicuriens des Invasions barbares. « Je vous prédis que d'ici 10 ans, l'euthanasie va augmenter. »

François Ricard ne s'en cache pas : il est un boomer qui l'a eu plutôt facile. Enfance en or, permanence rapide à l'université, etc. Il prend sa retraite l'an prochain, mais il va continuer à travailler un peu. « Ça fait longtemps qu'on des amis à la retraite et qu'on les envie. »

-Une vie chanceuse?

-Oui, mais je n'en suis pas fier.

Le vieux, c'est le voisin

Bien entendu, tous les baby-boomers ne sont pas dans le même panier. « C'est difficile de parler de qualité de vie quand on est inquiet de payer le loyer », souligne le gérontologue et conférencier Hubert De Ravinel.

« Dans 20 ans, les baby-boomers auront moins d'enfants qui prendront soin d'eux que leur parents en avaient, ajoute-t-il. Ils devront renouveler et développer la notion d'amitié. Surtout les hommes qui ont moins d'amis que les femmes. À la famille qui se transforme devra succéder une nouvelle forme de relations. »

« Il ne faut pas trop enjoliver le fait de vieillir, poursuit sa femme, Claire Blanchard De Ravinel. On est à l'autre bout de la vie, et quand on aime la vie, on ne veut pas que ça finisse. »

Claire et son mari donnent des conférences. « Il y a beaucoup de gens qui disent : c'est comme si ma vie intérieure et mon apparence physique n'allaient pas ensemble. Ce décalage est difficile », explique-t-elle. Mais dans le fond, c'est quoi être vieux ? « On vieillit quand la santé commence à partir », considère Moses Znaimer.

Personne n'aime se dire vieux. « C'est pourquoi je suis arrivé avec le mot zoomer. Tout le monde veut être jeune, personne ne veut être vieux », conclut-il.