Le vieillissement de la population fait saliver les publicitaires. Tous cherchent la meilleure manière de charmer les gens du troisième âge, plus dynamiques que jamais, et à découvrir les produits qui feront craquer le «pouvoir gris».

Dans le film Blood Work, sorti en 2002, Clint Eastwood résumait bien la nouvelle réalité du troisième âge. Son personnage, un policier retraité, reprenait du service après une transplantation cardiaque. Malgré sa convalescence, il poursuivait un dangereux tueur en série.

 

Ce portrait surprenant annonçait le raz-de-marée qui modifiera sous peu la représentation de la vieillesse au petit et au grand écran. Fini les stéréotypes de la grand-maman gâteau ou du septuagénaire éternellement jeune et séduisant. Dans Blood Work, le personnage de Clint Eastwood est malade mais toujours actif: entre deux fusillades, il doit faire attention à ne pas trop forcer son nouveau coeur et ne peut conduire une voiture. Les modèles de l'âge d'or sont appelés à se multiplier, et la publicité sera la première touchée.

«Jusqu'à maintenant, les publicitaires qui voulaient s'adresser aux personnes âgées ont pu se limiter aux stéréotypes habituels», explique Brian Carpenter, psychologue à l'Université Washington à Saint-Louis, qui a publié en 2007 une analyse sur le sujet. «Mais comme leur pouvoir d'achat va exploser dans les prochaines années, il faudra être plus inventif, plus convaincant. C'est une question de survie pour les publicitaires et pour les entreprises.»

L'analyse de M. Carpenter, parue dans le Journal of Aging Studies, montre que 15% des publicités télévisées mettent en scène des personnes âgées. Il s'agit d'une nette augmentation par rapport à une étude de 1991, qui évaluait cette proportion à 11%. «Les personnes âgées ont toujours été sous-représentées dans les publicités, à cause de l'idéal de jeunesse. Ce n'est plus vrai. Les baby-boomers n'ont plus 20 ans et ça se voit. Alors ils veulent des modèles qui leur ressemblent, des personnes qui font leur âge mais restent actives, qui ont des petits-enfants mais sortent tout de même en amoureux.»

En 2006, la cinéaste Nora Ephron, l'auteure de Sleepless in Seattle, avait publié I Feel Bad About My Neck, un livre où elle s'élève contre la représentation de la vieillesse comme un âge où tout est parfait. Vieillir n'est pas une tragédie, explique-t-elle, mais il ne faut tout de même pas gommer ses désavantages - comme les rides dans le cou.

Rester dans le coup

Les baby-boomers n'auront pas qu'un impact démographique sur l'âge d'or. «Traditionnellement, les personnes âgées étaient plus conformistes, explique Robert Soroka, professeur de marketing à l'Université McGill. Les baby-boomers vont changer ça. Ils vont rester individualistes, voudront encore avoir l'impression que, s'ils choisissent un produit, c'est parce que ça leur convient personnellement. Ils veulent des modèles à la fois réalistes et stimulants. C'est pour ça que Diane Keaton a été retenue comme porte-parole de L'Oréal et que Helen Mirren est de plus en plus en demande.»

La publicitaire montréalaise Anne Darche estime que les mots «âge d'or», «pouvoir gris» et «retraités» sont à proscrire. «Il faut éviter la connotation de ghetto, qu'on n'est plus dans le coup.» Elle cite entre autres le nouveau magazine Vita. «Le destiner aux femmes de 40 ans et plus est une belle façon de s'adresser aux 50 ans et plus. Le nom est habile.» Les annonceurs devront également jouer sur le refus de vieillir des baby-boomers. La compagnie OXO, par exemple, vante le design de ses ustensiles haut de gamme, qui sont aussi faciles à utiliser pour les gens qui ont des problèmes de dextérité manuelle.

Plus concrètement, le grisonnement de la population amènera des changements dans le type de produits qu'on trouvera dans les magasins. L'automne dernier, le groupe de recherche américain NPD rapportait que les femmes âgées préfèrent le rouge à lèvres au brillant à lèvres, alors que chez les femmes plus jeunes c'est le contraire. La moitié des quinquagénaires utilise du mascara, mais 80% des femmes dans la vingtaine le font. En d'autres mots, l'impact ne se limitera pas aux objets directement destinés aux personnes âgées, comme les fameuses baignoires munies d'une porte qu'on voit de plus en plus souvent dans les publicités d'après-midi.

Changements d'habitudes

Un autre secteur qui fascine les experts est l'immobilier. Certains avancent que les prix et les investissements dans le secteur vont chuter encore davantage parce que les baby-boomers soutenaient le marché en traitant leur maison comme un investissement. Maintenant qu'ils ne sont plus à se constituer un pécule mais plutôt à le dépenser, la demande et donc les prix vont baisser dans les marchés immobiliers autant qu'à la Bourse.

Un économiste de la banque suisse UBS, George Magnus, se fait rassurant à cet égard. «La brique demeurera un bon investissement», explique M. Magnus, qui vient de publier un livre sur les changements sociaux qu'amènera le vieillissement de la population, The Age of Aging. «Peut-être que la croissance des prix sera moins vive. Mais comme les baby-boomers passeront nécessairement de plus en plus de temps à la maison parce qu'ils ne travailleront plus, ils dépenseront pour la rendre plus agréable.»

D'autres habitudes de la société actuelle auront aussi la vie dure. Dans son analyse citée précédemment, le psychologue Brian Carpenter a constaté que plus des trois quarts des personnes âgées que l'on voit dans les publicités sont des hommes. «Ça montre que l'idéal de la femme jeune perdure. C'est paradoxal parce que, en réalité, il y a beaucoup plus de femmes que d'hommes parmi les personnes âgées. En quelque sorte, elles voient dans les publicités un monde plus attirant pour elles, où il n'y a pas une concurrence féroce pour les quelques hommes disponibles.»