Treize secondes. C'est le temps qui s'est écoulé entre la demande de renfort de l'agent Jean-Loup Lapointe, alors qu'il a fait une clé de bras à Dany Villanueva sur le capot de son auto de police, et le moment où sa coéquipière, Stéphanie Pilotte, a demandé des ambulances pour les trois jeunes blessés par balle.

Au total, toute l'intervention policière a duré moins d'une minute: du moment où les deux agents sont sortis de l'auto, dans l'intention de distribuer des constats d'infraction au groupe de jeunes qui jouaient aux dés dans un stationnement, jusqu'à ce que l'agente Pilotte appelle les secours après le quatrième coup de feu tiré par son coéquipier.

Le temps de l'intervention a été établi, jeudi, à l'enquête du coroner André Perreault, où la policière Stéphanie Pilotte a poursuivi son récit de la fusillade du 9 août 2008 qui a coûté la vie à Fredy Villanueva, 18 ans.

«Ça laisse présumer qu'on a été très rapidement vers une méthode plus forte. Et peut-être dans une situation d'escalade plutôt que d'essayer de calmer le jeu», a déploré le porte-parole de Mouvement Solidarité Montréal-Nord, François Bérard, en marge des audiences.

Pour sa part, l'avocat de la Fraternité des policiers de Montréal, Michael Stober, a lancé cet avertissement à ceux qui seraient tentés de juger trop rapidement: «C'est toujours facile, après, de décortiquer. Il faut être là dans le feu de l'action.»

La policière a été longuement contre-interrogée, jeudi, sur les étapes à suivre dans l'utilisation de la force que l'on enseigne à l'École de police. En théorie, le policier devrait utiliser des outils intermédiaires, comme un bâton télescopique ou du gaz poivre, avant de se servir de son arme à feu, «la dernière étape lorsque la vie du policier est en danger», a-t-elle expliqué. Mais le 9 août 2008, «on était un nombre inférieur au nombre d'attaquants», a-t-elle ajouté.

Après avoir appelé du renfort, l'agent Lapointe a fait un croc-en-jambe à Danny Villanueva, puisque ce dernier résistait à son arrestation. Le policier l'a pris au cou en essayant de le maîtriser au sol pendant qu'il se débattait toujours, et a finalement tiré quatre coups de feu. Stéphanie Pilotte a vu brièvement Fredy Villanueva s'approcher du policier avec une main en demi-lune, «comme pour étrangler», avant de recevoir deux coups de feu. Elle n'a pas vu Fredy Villanueva ni les autres jeunes, à l'exception de son frère Danny, toucher au policier.

Pour atteindre Jeffrey Sagor Metellus au dos d'une quatrième balle, le policier a fait un balayage de «90 à 180 degrés» avec son arme, toujours selon la policière. Une version différente de celle de l'agent Lapointe, inscrite dans son rapport remis un mois après l'incident du 9 août 2008. «Je fais feu tout en avançant l'arme devant moi et en la dirigeant vers le centre des masses qui sont sur moi», a-t-il écrit.

En contre-interrogatoire, l'avocat du policier, Me Pierre Dupras, a d'ailleurs tenté de faire dire à la policière qu'elle n'avait pas de «rapporteur d'angle» au moment de la fusillade, et que c'était sans doute moins de 90 degrés. La jeune femme a toutefois maintenu sa version.

La jeune policière a aussi réitéré que son physique (5 pieds 1 pouce et 135 livres) n'avait rien avoir avec le déroulement dramatique de l'événement. Elle a ajouté que l'utilisation d'«outils intermédiaires» comme du gaz poivre aurait présenté un risque pour elle et son partenaire, car ils étaient trop près de l'individu qu'il tentait de maîtriser (Danny Villanueva).

De plus, la présence d'un système de positionnement par satellite dans les voitures de police n'aurait pas permis aux renforts d'arriver plus rapidement, selon elle. C'est que son partenaire et elle n'ont pas indiqué leur «localisation» à la centrale de police avant de mener leur intervention. S'en est suivi un long échange paniqué sur les ondes de police durant lequel la répartitrice a tenté à sept reprises de trouver leur emplacement. Cela s'explique par le fait que les deux policiers avaient signalé qu'ils allaient répondre à un appel pour une plainte de bruit boulevard Langelier, alors qu'ils étaient plutôt dans le stationnement de l'aréna près du parc Henri-Bourassa.

Le contre-interrogatoire de la policière se poursuit aujourd'hui au palais de justice de Montréal.

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Ironie du sort, la policière qui a été blessée par balle lors des émeutes du 10 août 2008 à Montréal-Nord, Sabrina Dufour, est une bonne amie de la policière Stéphanie Pilotte. La veille des émeutes, l'agente Dufour a été l'une des premières personnes à aller réconforter son amie, en état de choc après avoir participé à l'intervention policière qui s'est soldée par la mort de Fredy Villanueva. Elle a même reconduit Mme Pilotte chez elle après le drame. Le lendemain, l'agente Dufour a reçu une balle à une jambe au cours de l'émeute. Le tireur n'a toujours pas été arrêté.