Les contrôles d'identité de personnes noires à Montréal-Nord ont augmenté de 50% entre 2007 et 2008. Ils avaient atteint un sommet dans les mois qui ont précédé l'émeute survenue au lendemain de la mort de Fredy Villanueva. Cette hausse des interpellations coïncide avec le déploiement de l'escouade antigang Éclipse.

C'est le constat qui ressort d'un tout nouveau rapport du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), intitulé Mécontentement populaire et pratiques d'interpellation du SPVM depuis 2005: doit-on garder le cap après la tempête? et produit en preuve lundi à l'enquête sur la mort de Fredy Villanueva, abattu par un policier à Montréal-Nord au mois d'août 2008.

>Consultez le rapport du criminologue Mathieu Charest.





Ce rapport, en fait la mise à jour de celui dont La Presse avait révélé l'existence l'été dernier, a été réalisé par le criminologue Mathieu Charest, employé du SPVM. On y avait appris que les contrôles d'identité de Noirs avaient augmenté de façon «alarmante» dans les quartiers chauds du nord de la métropole entre 2001 et 2007.

Dans la mise à jour datée du 30 août 2010, Mathieu Charest a analysé les fiches d'interpellation remplies par les agents du SPVM en 2008. Il évalue donc la situation qui avait cours entre le déploiement de l'escouade Éclipse, au printemps 2008, et l'émeute du 11 août 2008.

Cette analyse est d'un intérêt manifeste: des études européennes démontrent que la hausse des contrôles d'identité dans une communauté donnée crée un mécontentement propice au déclenchement d'une émeute.

Pire à Montréal-Nord, mieux à Saint-Michel

À Montréal-Nord, les interpellations de Noirs ont augmenté de 50% entre 2007 et 2008, révèle le document rendu public lundi. Entre 2001 et 2007, les contrôles d'identité de Noirs avaient déjà augmenté de 127% dans cet arrondissement.

Pendant que la situation se détériorait à Montréal-Nord, elle s'est améliorée dans le quartier voisin de Saint-Michel, apprend-on dans le nouveau rapport. «Après des hausses importantes dans les interpellations de Noirs en 2006 et 2007, on observe le début d'un mouvement de retour à des niveaux d'interpellations plus "acceptables"«, écrit Mathieu Charest. Le chercheur constate également une légère baisse des contrôles dans le centre-ville en 2008.

Dans les mois qui ont précédé l'émeute, l'escouade Éclipse semble donc avoir concentré ses effectifs à Montréal-Nord. «Le ralentissement progressif des interventions à Saint-Michel et au centre-ville s'accompagne d'un déplacement de l'intensité des activités vers Montréal-Nord», écrit Mathieu Charest.

Ce constat n'étonne pas Anie Samson, mairesse de l'arrondissement de Villeray-Saint-Michel-Parc-Extension: «Éclipse est allée beaucoup plus souvent à Montréal-Nord qu'à Saint-Michel», souligne-t-elle.

Différents intervenants, à Saint-Michel, avaient protesté lors du déploiement d'Éclipse, qui risquait selon eux de briser le lien de confiance entre les jeunes et la police de quartier. Depuis quelques années, le commandant Fady Dagher et son équipe avaient établi une culture de concertation entre les différents acteurs du quartier afin de rapprocher la police de sa communauté.

«Bref, on a fait comprendre à Éclipse qu'on avait une dynamique différente et qu'on était capable de s'organiser avec nos jeunes, a dit Anie Samson. Le message a passé à l'interne.»

L'auteur répond aux critiques

Par ailleurs, dans la mise à jour rendue publique lundi, Mathieu Charest répond aux critiques formulées au sujet de son premier rapport. Pour justifier le fait qu'il n'avait jamais été publié, le directeur adjoint Jean-François Pelletier avait tenté de discréditer l'étude en affirmant qu'elle comportait des «biais méthodologiques énormes».

M. Pelletier avait notamment prétendu que, pour établir des statistiques fiables, il fallait se baser sur la population disponible (celle qui se tient dans les parcs, par exemple), et non sur la population résidante, comme l'a fait le chercheur.

«Cette objection méthodologique n'affecte en rien deux problèmes majeurs soulevés dans le rapport, écrit Mathieu Charest. 1) les deux tiers des interpellations de Noirs reposent sur des motifs que l'on pourrait qualifier de "faibles" (...) 2) Une mesure de la population disponible ne permet pas d'expliquer la flambée des interpellations de Noirs des trois dernières années.»

À ce jour, le SPVM a remis trois rapports au coroner André Perreault, dont le troisième après que ce dernier eut suggéré au SPVM de lui remettre tous les documents pertinents à l'affaire.

Soulignons que, au lendemain de l'émeute de Montréal-Nord, le SPVM a donné moins de latitude à Éclipse. Marc Parent, le nouveau chef de police, s'est récemment engagé à revoir en profondeur le rôle de cette escouade.

Le SPVM n'a pas voulu commenter le contenu du troisième rapport, produit après la nomination de Marc Parent, pour ne pas influer sur l'enquête publique en cours.