Le Québec a-t-il réellement perdu des milliers d’hectares de terres agricoles au cours des dernières années, comme le prétend la cheffe libérale Dominique Anglade ? Oui. Mais si l’Union des producteurs agricoles attribue la situation à l’étalement urbain et à la spéculation immobilière, d’autres appellent plutôt à mieux rentabiliser les terres.

« Dans les cinq dernières années, on a constaté qu’on avait perdu 10 000 hectares en termes de territoire agricole », a expliqué mercredi Mme Anglade, alors qu’elle visitait la ferme de son candidat dans Huntingdon, l’ex-député libéral fédéral Jean-Claude Poissant, pour présenter ses promesses en matière d’agriculture.

Mme Anglade et M. Poissant ont du même coup appelé à « freiner l’étalement urbain » dans les terres agricoles, citant notamment l’autorisation par le gouvernement Legault du dézonage de terres agricoles d’une superficie de 17 millions de pieds carrés dans la MRC de Montcalm, au nord de Mascouche, tel que l’avait rapporté La Presse en 2020.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Dominique Anglade, cheffe du Parti libéral du Québec, en visite à la ferme de son candidat dans Huntingdon, l’ex-député libéral fédéral Jean-Claude Poissant

La libérale accuse le gouvernement Legault de constamment « gérer par décret » pour contourner la Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ) et ainsi « sacrifier » des terres fertiles à d’autres usages.

Son parti promet quant à lui de réformer la Loi sur la protection du territoire agricole pour freiner l’étalement urbain dans des terres fertiles. Le candidat Poissant a également déploré que Québec ait permis à Google de s’installer à Vaudreuil, contre l’avis de la CPTAQ, en plus d’avoir autorisé l’installation d’un abattoir à Saint-Hyacinthe en zone agricole, alors qu’il y a encore de l’espace dans le parc industriel de cette localité de quelque 57 000 habitants.

« Tâche colossale »

Dans sa brochure électorale diffusée en août, l’Union des producteurs agricoles (UPA) confirme que « malgré son importance stratégique, la zone agricole continue d’être grugée par l’étalement urbain, l’activité de spéculateurs financiers et immobiliers, les projets industriels et la construction d’infrastructures, entre autres pour le transport ».

Au Québec, ces cinq dernières années, environ 10 000 hectares agricoles ont été sacrifiés à d’autres usages que l’agriculture. Même si le dézonage tous azimuts a diminué ces dernières années, renverser la tendance s’annonce une tâche colossale.

Extrait de la brochure électorale de l’Union des producteurs agricoles

Ultimement, « seul un plan de mise en œuvre ambitieux qui protège intégralement les terres et les activités agricoles, accompagné d’indicateurs qui vont en ce sens, sera garant de l’engagement véritable du gouvernement québécois », affirme la direction de l’Union des producteurs agricoles.

Pour contrer la spéculation, l’UPA demande d’ailleurs depuis longtemps d’interdire que des intervenants « non agricoles », notamment issus de l’immobilier ou de la haute finance, puissent acquérir des terres agricoles. En 2021, la province a « franchi un point de rupture » : la majorité des transactions foncières en zone agricole ont été faites par des intervenants non agricoles.

Rentabilisons les terres d’abord, dit un expert

Le directeur du Laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire de l’Université Dalhousie, Sylvain Charlebois, estime toutefois que la disparition de terres agricoles est davantage due au manque d’exploitation de celles-ci qu’à l’étalement urbain. « Il y a beaucoup de producteurs qui veulent exploiter davantage, mais qui n’ont pas les moyens ou le savoir-faire pour le faire. À mon avis, c’est là qu’est le problème. Ce n’est pas tant l’étalement urbain qui est le danger », avance-t-il.

« Ça prend plus de soutien aux producteurs pour rendre les fermes plus efficaces, plus compétitives. Il faudrait peut-être inciter davantage les producteurs à développer un plan d’exploitation qui peut éviter l’étalement urbain et protéger les terres. Parce qu’ultimement, les villes et les MRC vont toujours vendre au meilleur acheteur. Et pour rentabiliser une terre, il faut l’exploiter au maximum », poursuit M. Charlebois.

L’UPA, elle, note également que « la protection de notre garde-manger s’étend aussi aux activités acéricoles en forêt publique ». La Stratégie nationale de production de bois, mise en place en 2020, établit en effet le potentiel acéricole à protéger à seulement 24 000 hectares, « ce qui est nettement insuffisant pour assurer la pérennité du secteur », selon l’organisme.

Mercredi, Mme Anglade s’est de son côté vivement opposée à l’idée de taxer les terres agricoles, une idée sur laquelle a reculé Québec solidaire. « Quand on parle de relève agricole, de la nécessité d’avoir des jeunes qui veulent s’impliquer dans l’agriculture, on ne peut pas me dire que c’est ces jeunes-là qu’on va aller taxer », a-t-elle soutenu.