Cette chronique aurait pu être pire.

Elle avait commencé avec une mauvaise idée : dénoncer le refus de François Legault de nous accorder une interview de précampagne, comme l’ont pourtant fait les autres chefs, et comme le voulait la tradition.

Rien d’étonnant — au zénith dans les sondages, le chef caquiste n’a pas besoin de visibilité. Sa stratégie consiste à inonder le Québec de publicités en août, puis à faire campagne avec des promesses qui relèvent moins des valeurs politiques que de la distribution de cadeaux aux consommateurs.

Son refus doit aussi être relativisé — peu de premiers ministres ont accordé autant de conférences de presse. Semaine après semaine, c’était l’éclipse Legault. Les libéraux, péquistes et solidaires en ont perdu leur identité. Ils ont été réduits à une expression : « les oppositions ». Prononcée le plus souvent avec un mélange d’indifférence et d’exaspération.

C’est devenu malsain pour le débat.

Voilà pourquoi il aurait été ironique de faire de M. Legault la vedette de cette chronique même quand il ne fait rien.

Place à Dominique Anglade, donc.

J’avais interviewé Mme Anglade en mars 2021 pour le lancement de son livre⁠1. J’ai été frappé par son charisme et son énergie. Deux qualités qui, malheureusement pour elle, ne se voient pas toujours à la télévision.

C’est une femme de terrain. Elle a l’écoute qui vient avec l’humilité. La campagne lui offrira enfin une tribune pour se faire valoir.

Il y a toutefois une question à la fois simple et brutale à laquelle elle devra répondre : à quoi sert le Parti libéral du Québec (PLQ) aujourd’hui, à part combattre l’indépendance ?

La cheffe libérale critique le bilan caquiste, et elle a des arguments. Mais en quoi serait-elle différente ?

Sa réponse a évolué.

Au début, elle proposait un PLQ rouge-vert, avec un virage écologiste. Certes, ça ne venait pas de nulle part. Son aile jeunesse le réclamait, et la crise climatique l’exige.

Ensuite, Mme Anglade a dessiné un PLQ rouge-bleu qui renouerait avec l’héritage de Robert Bourassa, notamment en protégeant le français. Là encore, la logique se comprenait. Notre langue officielle se fragilise et l’électorat francophone a déserté le PLQ en 2018.

Dans les deux cas, des raisons à la fois objectives et stratégiques justifient cette opération. Mais de vieux libéraux ont été déstabilisés.

À sa décharge, Mme Anglade était dans une position ingrate. Elle a été couronnée cheffe du PLQ après l’abandon de son seul adversaire. La pandémie l’a ensuite tenue à l’écart de l’Assemblée nationale, et loin de l’attention médiatique. Elle manquait de tribunes pour défendre ses idées, et le sablier jouait contre elle.

Elle a voulu rompre avec l’héritage de MM. Charest et Couillard. Mais dans sa reconstruction du parti, elle n’a pas eu le temps d’expliquer sa démarche. La raison d’être du PLQ.

C’est quoi, être libéral, en 2022 ?

C’est être un fédéraliste enthousiaste qui, tout en réclamant une certaine autonomie, veut participer au Canada. Être un défenseur de l’État de droit et des libertés individuelles, même quand la majorité s’y oppose. Et enfin, être un progressiste au sens philosophique du terme. Soit de croire au progrès, d’accepter que la société change et de regarder vers l’avenir avec optimisme au lieu de perpétuer le passé.

Que cela plaise ou non, c’est une offre politique distincte, et Mme Anglade l’incarne.

La popularité des lois sur la laïcité et sur le français effraie les libéraux. Ils associent leurs déboires aux enjeux identitaires, et ils n’ont pas tort. N’empêche que le portrait n’est pas si sombre.

Les électeurs changent parfois d’idée et de priorités. Après tout, Justin Trudeau a obtenu le plus d’appuis au Québec lors des trois dernières élections fédérales. Le PLQ a aussi gagné le vote populaire dans cinq des sept dernières élections, et la défaite de 2012 était presque un match nul. Cette base ne peut pas avoir disparu.

L’évolution démographique du Québec avantagera aussi les rouges. D’ailleurs, il y a une consolation pour Mme Anglade dans son impopularité auprès des francophones : elle a aussi chuté chez les allophones. Ses difficultés ne découleraient donc pas seulement d’un changement structurel dans la composition de ses appuis. Ils proviendraient aussi d’une baisse générale et temporaire, comme celle subie par les libéraux fédéraux après le scandale des commandites.

Le slogan est « Votez vrai. Vrais enjeux. Vraies solutions ». En bonne ingénieure, elle aimerait débattre en détail de ses propositions. Reste que l’état des finances publiques permet aux partis de multiplier les promesses qui ne se démarquent pas énormément. Son salut ne viendra pas de là.

Une élection est aussi le choix d’un leader. Mme Anglade doit expliquer pourquoi elle veut le pouvoir. Car en politique, il faut passer par le cœur avant d’accéder à la raison. Il faut gagner la confiance avant d’expliquer ce qu’on ferait après l’avoir reçue.

Voilà le défi de Mme Anglade : transformer le rouge en couleur passion.

Comme le dit la chanson, c’est le genre de chose qui nous arrive quand on montre qu’on y croit.

1. Lisez le portrait de Dominique Anglade