Justin Trudeau est content.

Pierre Poilievre et Jean Charest sont contents.

Jagmeet Singh aussi est content.

Tout le monde est content à Ottawa, sauf le Bloc québécois. Ils regardent la campagne électorale avec leur boisson préférée en se disant : ça coûtera moins cher que prévu, finalement.

Car tous les politiciens fédéraux ont pris bonne note d’une contradiction subtile comme un autocar électoral.

Depuis des années, le Québec supplie le fédéral de hausser les transferts en santé. Sinon, il sera impossible de financer adéquatement les soins actuels. Le choc démographique coûtera trop cher.

« Si ça ne change pas, je ne pense pas que ce soit soutenable », s’alarmait il y a un an le ministre de la Santé, Christian Dubé.

Les caquistes et les libéraux semblent moins inquiets aujourd’hui. Ils promettent de baisser les impôts, respectivement de 1,8 milliard et de 2,5 milliards de dollars par année.

Ces partis font comme si le Québec ne manquait pas d’argent. Et n’aurait donc pas besoin que le fédéral hausse les transferts en santé. Du moins, pas de 6 milliards par année comme le réclamait le gouvernement caquiste.

Bien sûr, même sans ces promesses caquistes et libérales, le Québec avait déjà un genou au sol. Le front commun des provinces s’est fragilisé. Leur argumentaire aussi – l’Alberta, la Saskatchewan et le Nouveau-Brunswick ont notamment éliminé leur déficit, et la situation s’améliore également en Ontario. Et de toute façon, le fédéral a le dernier mot.

Reste que la négociation porte sur un chiffre. Québec cherche à soutirer un maximum d’argent. Chaque affaiblissement de sa position risque de se traduire par une réduction du chèque. Il n’était pas nécessaire d’être à ce point maladroit.

Si le rapport de force de Québec faiblit encore plus, cela ne signifie pas que ses arguments sont mauvais.

Il y a une autre hypothèse : le Québec manquera bel et bien d’argent, et les promesses de baisses d’impôt sont très risquées.

Pour s’en convaincre, il suffit de lire le document préélectoral du ministère des Finances publié début août.

De 2022-2023 à 2024-2025, les dépenses augmenteront respectivement de 2,4 %, 3,4 % et 2,6 %.

Or, la simple hausse des coûts de système en santé – ce qui est requis pour maintenir les services actuels – s’élève à près de 5 %.

La conséquence : la santé grugera une part de plus en plus grande du budget. Il en restera proportionnellement de moins en moins pour les autres missions de l’État.

La pandémie a montré que les soins assurés par le système public étaient déficients. Elle a aussi rappelé qu’un nombre inacceptable de Québécois n’ont pas accès à des services qui relèvent en bonne partie du privé, comme un psychologue. Et avec le vieillissement de la population, les coûts en santé gonfleront.

Même si on devrait idéalement offrir plus de soins, on se démènera pour ne pas en donner moins.

C’est dans ce contexte que surviennent les engagements de baisser l’impôt. Ils équivalent à promettre d’améliorer les résultats en réduisant les ressources.

François Legault et Dominique Anglade plaident que cette baisse d’impôt aidera à lutter contre l’inflation. Or, c’est une solution récurrente à un problème temporaire. Elle risque aussi d’aggraver ce problème, en stimulant la demande. Et enfin, elle est mal ciblée. Entre juillet 2021 et juillet 2022, les salaires ont grimpé un peu plus vite que l’inflation au Québec. Ceux qui en souffrent sont les plus démunis. Une aide mieux ciblée consisterait à bonifier le crédit de solidarité.

À Ottawa, les chefs prennent des notes.

Le néodémocrate Jagmeet Singh en conclut que les provinces ne sont peut-être pas incapables d’assurer les soins dentaires et les médicaments pour tous.

Le premier ministre Trudeau y voit la preuve qu’en santé, le problème relève aussi du « comment », et non du « combien ». Le premier ministre refuse que le fédéral soit réduit à un rôle de guichet automatique. Avant de promettre plus d’argent, il veut avoir un mot à dire sur la façon de le dépenser. Sa poignée pour le faire : la Loi canadienne sur la santé, qui garantit l’accessibilité et l’universalité des soins. Et il ne se privera pas de rappeler que si les provinces se sortent bien de la pandémie, c’est parce que le fédéral a payé près de 80 % des coûts liés à la COVID-19.

Et le candidat conservateur Jean Charest doit observer le tout avec nostalgie… En 2007, Stephen Harper s’engageait à éliminer le déséquilibre fiscal. M. Charest, alors premier ministre du Québec, a finalement utilisé l’argent pour baisser les impôts. À Ottawa, ce fut très mal reçu.

Depuis, un nouveau déséquilibre fiscal s’est creusé entre le fédéral et les provinces. Québec a raison d’exiger plus d’argent et de défendre son autonomie dans la façon de le dépenser. Mais M. Legault et Mme Anglade plaident mal leur cause.

À Ottawa, on se dit que la campagne électorale commence fort bien…