En 2004, La Presse a publié une liste de 10 milieux naturels menacés autour de Montréal. Quatre ans plus tard, certains sont en voie d'être protégés. D'autres ont disparu, et d'autres encore sont toujours l'objet d'âpres contestations. Mais, dans l'intervalle, les militants sur le terrain constatent un changement dans l'attitude des citoyens et de certains élus. Un virage vert dans le 450?

S'il est encore possible d'arpenter la forêt du Grand Coteau, à Lorraine et Rosemère, si l'on peut toujours y cueillir des champignons et admirer ses pins et ses pruches centenaires, c'est un peu grâce à François Boivin et Martin Drapeau, deux militants d'Enviro Mille-Îles.

 

Leur combat - et celui d'autres militants de la Rive-Sud, de Laval et de la couronne nord - a permis de sauvegarder des centaines d'hectares de milieux naturels ces dernières années.

Il y a quatre ans, un promoteur immobilier voulait construire des tours d'habitation dans une partie de la forêt du Grand Coteau, située au nord de l'autoroute 440. Ce projet n'a toujours pas vu le jour.

À l'autre extrémité de la forêt, un autre promoteur, Grilli Construction, a fait un don de 12 hectares à l'organisme Conservation de la Nature. Deux nouvelles rues bordées de luxueuses maisons ont cependant été construites. Au nord, la Ville de Lorraine a réservé une grande partie de la forêt pour la création d'un corridor naturel.

«Je pense que notre campagne a été un succès», dit François Boivin, père de trois enfants et mécanicien en aéronautique. Il croit que la mobilisation citoyenne et la couverture médiatique ont sauvé la forêt du Grand Coteau. «Les pressions politiques et citoyennes ont eu un impact, dit-il. Il y avait une pétition de 8000 noms. La Ville a fait un sondage auprès de citoyens et il est ressorti très fort que les gens étaient en faveur de la conservation de la forêt. Mais elle était déjà fréquentée, alors c'était facile de mobiliser les gens.»

Par contre, un autre milieu naturel, la forêt du Versant à Terrebonne, n'a pu échapper au développement. Mais l'ambitieux projet de golf de 45 trous qui devait y être construit semble complètement embourbé. Le terrassement est commencé, mais les travaux sont suspendus depuis au moins un an. Sur le terrain, les barrières et filets installés pour retenir les sédiments et éviter de polluer les nombreux plans d'eau de l'immense terrain commencent à flancher. L'herbe à poux domine sur les allées. Certaines forêts ont été rasées. D'autres ont été préservées, ainsi que les étangs.

La Ville de Terrebonne ignore ce qui a freiné les promoteurs Gordon Stollery et Michael Columbos. Ils n'ont pas rappelé La Presse. «Ça fait longtemps que le projet a été présenté et qu'il aurait dû être terminé, dit le maire de Terrebonne, Jean-Marc Robitaille. On n'en sait pas plus pour le moment.»

Pour François Boivin, d'Enviro Mille-Îles, cette ancienne zone agricole qui comprenait des érables noirs, une espèce rare, n'avait pas de chance d'être préservée telle quelle. «Dans ce cas-ci, il n'y avait pas de fréquentation du public, dit-il. C'était plus difficile de faire de la mobilisation.»

Stabilité et spéculation à Laval

À Laval, quatre milieux naturels étaient sur la liste de La Presse. Et la situation est stable.

Depuis 2004, le développement industriel s'est poursuivi dans le bois de l'Équerre, mais sans dommage irrémédiable, selon Richard Pelletier, biologiste au Conseil régional de l'environnement (CRE) de Laval. «Si on réussit à préserver ce qui reste, ce serait bien, mais il y a beaucoup de spéculation immobilière», dit M. Pelletier.

La spéculation est au coeur de tous les enjeux de conservation à Laval. Et la Ville est loin de se tenir à l'écart. Depuis quatre ans, elle a acheté environ 290 hectares au coût de 7,4 millions. «On veut finir à au moins 9 % d'espaces verts, dit le maire de Laval, Gilles Vaillancourt. On est rendus à 4,5 % ou 5 %.»

Depuis quatre ans, la forêt de Saint-François, la plus grande de l'île Jésus, n'a rien perdu de ses 663 hectares (c'est plus de trois fois la superficie du parc du Mont-Royal). Mais c'est peut-être le calme avant la tempête. «On sait que le pont de l'autoroute 25 s'en vient, dit Guy Garand, du CRE-Laval. C'est zoné en partie blanc et en partie agricole. Quand le pont de la 25 sera construit, on pense que ça va tout disparaître.»

Chose rare au Québec, la forêt abrite 25 hectares d'érablière à caryer cordiforme.

Selon le maire Vaillancourt, le prolongement de la 25 ne changera rien pour la forêt de Saint-François. «Le nord de la 440 est en zone agricole et nous n'avons prévu aucun développement dans ce cas», dit-il.

Dans l'Ouest-de-l'Île, la forêt de Sainte-Dorothée a révélé bien des secrets depuis quatre ans. «On a trouvé sept des huit espèces de chauve-souris du Québec et aussi le petit polatouche, l'écureuil volant, dit Carole Garceau, de l'Association pour la protection de la forêt de Sainte-Dorothée. On est rendus à 139 espèces d'oiseaux, dont une dizaine de rapaces.» On peut aussi, dit-elle, y trouver des pruches de 350 ans.

La forêt de 280 hectares, entourée 140 hectares de champs, est entièrement en zone agricole, ce qui n'empêche pas la spéculation, dit Mme Garceau: «Plusieurs personnes achètent des terres en espérant un dézonage.»

En attendant, le territoire, grand comme deux fois le parc du Mont-Royal, est livré aux intrus: conducteurs de VTT, jeeps et motocross en ont fait leur terrain de jeu. Un autre argument pour un faire une zone de conservation, dit Mme Garceau. «À partir du moment où l'espace est pris en charge par des gens intéressés par la nature, ça devient des yeux et des oreilles pour surveiller les délinquants. Actuellement, c'est l'anarchie.»

Dans la rivière des Mille-Îles, l'île Locas demeure depuis 40 ans l'enjeu emblématique de la préservation à Laval.

En théorie, il y a toujours un projet de 1000 condos dans cette île située juste à l'ouest de l'autoroute 15. Les tribunaux ont reconnu le droit de construire du promoteur, mais aussi celui de la Ville de refuser de fournir les services municipaux. «Je ne sens pas qu'il y a un péril dans l'île Locas», dit M. Vaillancourt.

Guy Garand rappelle qu'il y a eu une tentative de remblayage sauvage dans l'île Locas, l'automne dernier. «Une quarantaine de camions sont entrés avant que ce soit arrêté», dit-il.

La grenouille sauvée in extremis à Longueuil

Sur la Rive-Sud, La Presse avait identifié quatre milieux naturels. Le plus important, le marécage appelé Boisé du Tremblay, faisait l'objet de projets immobiliers atteignant 2 milliards en investissements publics et privés. Un nouveau quartier aurait vu le jour dans les 650 hectares abritant une espèce de grenouille en danger de disparition, la rainette faux-grillon, une forêt abritant quatre espèces de chênes, en plus de dizaines d'autres espèces rares.

Quatre ans plus tard, l'essentiel du Boisé du Tremblay doit être soustrait au développement par la Ville de Longueuil. «Il y aurait entre 400 et 450 hectares protégés, soutient Tommy Montpetit, un biologiste autodidacte et militant tenace, qui a grandi sur la Rive-Sud. Dans les 200 hectares qui restent, il y a aussi beaucoup de rainettes et des milieux humides de qualité. On peut appeler ça une demi-victoire. Mais aussi près de Montréal, préserver 450 hectares, c'est exceptionnel.»

Non loin de là, les militants ont pu aussi préserver une rare tourbière à Saint-Hubert, d'une superficie d'un kilomètre carré.

Plus à l'est, à Saint-Basile-le-Grand, dans la zone connue alors comme la concession des Grands Étangs, la forêt a «complètement disparu» sous un projet domiciliaire, dit M. Montpetit. Les autorités ont quand même obtenu que le promoteur préserve une bande riveraine de 25 mètres le long du ruisseau Massé, alors que la norme est 10 mètres. «On a perdu une partie du corridor vert qui reliait le Richelieu aux milieux naturels de Longueuil, dit M. Montpetit. On a perdu des pins centenaires, des pruches, des sapins baumiers; on a perdu une forêt qui aurait pu être reconnue comme un écosystème forestier exceptionnel.»

À Carignan, au confluent du Richelieu et de la rivière l'Acadie, l'épineux dossier de l'île au Foin s'est depuis transporté devant les tribunaux. Il y a quatre ans, le promoteur avait fait barricader une piste cyclable qui passait en partie sur ses terrains, ce qui avait causé beaucoup de mécontentement. La piste est rouverte, mais le conflit perdure.

«C'est une histoire assez compliquée, dit Me Paul Adam, procureur de la Ville de Carignan. Anciennement, cette île était totalement située en zone inondable. Le promoteur a demandé et obtenu un changement à la carte, que la Ville a dû intégrer dans sa réglementation. Mais elle a autorisé des résidences unifamiliales alors que le promoteur maintient qu'il peut construire des immeubles de 10 étages.»

Virage vert?

Ces dernières années de lutte - et ces quelques succès - ne font qu'aiguiser l'appétit des militants. Ces derniers ont aussi noté un virage vert dans certaines administrations municipales.

Une fois la forêt du Grand Coteau préservée, François Boivin veut l'intégrer à un corridor vert qui s'étendrait de la rivière des Mille-Îles jusqu'à Blainville, au nord. L'actuel maire de Blainville, François Cantin, a déjà acquiescé au principe du projet. Il est d'ailleurs l'un des membres fondateurs d'Enviro Mille-Îles.

De son côté, Hélène Daneau, élue à la mairie de Rosemère en 2005, souhaite la création d'un parc dans la forêt du Grand Coteau.

«Depuis deux ou trois ans, les gens travaillent dans le sens de la conservation, dit François Boivin. Il y a deux nouveaux maires, à Lorraine et à Blainville, qui travaillent dans ce sens-là.» De son côté, Tommy Montpetit salue la politique de préservation des milieux naturels de Longueuil.

Depuis quatre ans aussi, les écologistes du 450 voient plus grand. Ils sont unis à ceux du 514 autour d'un projet encore plus ambitieux: la création d'un parc qui engloberait des milieux naturels de toute la région de Montréal.

 

ÎLE LOCAS

> Localité: Sainte-Rose (Laval).

> Superficie: 10 ha.

> Nature : une forêt exceptionnelle et deux étangs servant de pouponnière aux poissons menacés.

> Menace: tours d'habitation

> Tendance : stable

 

FORÊT DE SAINTE-DOROTHÉE

Localité: Sainte-Dorothée Ouest.

> Superficie: 278 ha.

> Nature : forêt d'arbres mûrs et grand marais fréquenté par la sauvagine.

> Menace: construction résidentielle.

> Tendance: stable

 

FORÊT DU GRAND CÔTEAU

> Localité: Rosemère/Lorraine.

> Superficie: 100 ha.

> Nature : forêt d'arbres mûrs, comprenant des espèces rares.

> Menaces: projets résidentiels

> Tendance: en voie d'être préservé

BOIS DE L'ÉQUERRE

> Localité: Laval.

> Superficie: 230 ha.

> Nature : surtout des érablières.

> Menace: projets industriels.

> Tendance: stable

FORÊT DU VERSANT

> Localité: Terrebonne.

> Superficie: 350 ha.

> Nature : forêt rare et étangs.

> Menace: golf et résidences de luxe.

> Tendance: en baisse

FORÊT DE SAINT-FRANÇOIS

> Localité: Saint-François Est.

> Superficie: 663 ha

> Nature: forêt ancienne composée d'ormes-lièges et d'érables noirs.

> Menace: aucune protection juridique

> Tendance: stable

CONCESSION DES GRANDS ÉTANGS

> Localité: Carignan.

> Superficie: 25 ha.

> Nature : un coin encore sauvage du ruisseau Massé.

> Menace: le projet de construction résidentielle s'est réalisé.

> Tendance: disparu

ÎLE AU FOIN

> Localité: Carignan.

> Superficie: 20 ha.

> Nature: la dernière île sauvage dans un archipel important pour la reproduction des poissons.

> Menace : le promoteur a réussi à faire changer le zonage.

> Tendance: en baisse

TOURBIÈRE DE SAINT-HUBERT

> Localité: Saint-Hubert (Longueuil)

> Superficie: 100 ha.

> Nature : une tourbière fréquentée par 150 espèces d'oiseaux.

> Menace: construction résidentielle.

> Tendance: en voie d'être préservée

BOISÉ DU TREMBLAY

> Localité: Longueuil.

> Superficie: 800 ha.

> Nature: une immense terre marécageuse abritant entre autres la rainette faux-grillon, une espèce menacée.

> Menace: construction résidentielle.

> Tendance: en voie d'être préservée en partie